Transfusions sanguines chez les individus atteints de drépanocytose avant une intervention chirurgicale

Problématique de la revue

Nous voulions déterminer si les transfusions sanguines administrées aux individus atteints de drépanocytose avant une opération chirurgicale de routine ou réalisée en urgence permettaient d'éviter les complications dues à la drépanocytose ou à l'opération sans provoquer d'effets secondaires graves. Nous voulions également déterminer si un mode de transfusion spécifique donnait de meilleurs résultats chez les personnes atteintes de drépanocytose qui subissent une intervention chirurgicale. Il s’agit de la mise à jour d'une revue Cochrane déjà publiée.

Contexte

La drépanocytose est une grave maladie sanguine héréditaire caractérisée par un développement anormal des globules rouges, qui transportent l'oxygène dans l'organisme. Cette maladie touche principalement les personnes d'origine africaine, caribéenne, ainsi que celles issues du Moyen-Orient, de Méditerranéenne orientale et d’Asie.

Les globules rouges normaux sont flexibles et en forme de disque, mais dans la drépanocytose, ils peuvent devenir rigides et prendre une forme de croissant de lune. Les cellules falciformes sont non seulement moins souples que les globules rouges sains, ils sont aussi plus collantes. Cela peut entraîner l'obstruction des vaisseaux sanguins, ce qui provoque des lésions des tissus et des organes et des crises douloureuses très intenses. Les cellules sanguines anormales sont plus fragiles et sont facilement détruites, ce qui entraîne une pénurie de globules rouges, connue sous le nom d'anémie.

Les personnes atteintes de drépanocytose sont plus susceptibles de subir une opération chirurgicale que la population générale en raison des complications dues à la drépanocytose, telles que les calculs biliaires, les infections et les problèmes articulaires. Cependant, la chirurgie peut entraîner des complications liées à la drépanocytose.

Les transfusions sanguines réalisées avant une opération pourraient contribuer à prévenir les complications en réduisant le niveau d'anémie, en diluant les globules rouges falciformes et en augmentant le niveau d'oxygène dans le sang, ce qui pourrait réduire le risque d'obstruction des vaisseaux sanguins et donc de dommages supplémentaires.

Il existe différents types de transfusions sanguines. L’objectif principal d'un mode de transfusion agressif est de réduire le nombre de cellules falciformes dans le sang en dessous d'un certain niveau : généralement, les cellules falciformes sont retirées et remplacées par les globules rouges du donneur (échange de transfusion). Par ailleurs, il réduit également le niveau d'anémie. Le principal objectif d'un mode de transfusion conservateur est de réduire le niveau d'anémie. Il réduit également le pourcentage de cellules falciformes dans le sang (effet de dilution) mais aucune cellule falciforme n'est éliminée. Un mode de transfusion agressif réduit le pourcentage de cellules falciformes dans le sang à un niveau beaucoup plus bas qu'un mode de transfusion conservateur.

Les transfusions sanguines peuvent être liées à des événements indésirables tels que le développement d'anticorps aux protéines sur les globules rouges du donneur (allo-immunisation) ; l'accumulation d'une trop grande quantité de fer dans l'organisme à la suite de transfusions répétées ; l'augmentation des taux d'infection après une opération ; et la prolongation du séjour à l'hôpital. Certains types de chirurgie pourraient ne pas nécessiter de transfusion sanguine.

Caractéristiques des études

Nous avons effectué une recherche dans la littérature médicale jusqu'au 28 janvier 2020. Nous avons inclus trois essais avec 990 personnes dans cette revue. Un essai a comparé la transfusion agressive à la transfusion conservatrice. Deux essais ont comparé la transfusion agressive ou conservatrice avant l'opération à l'absence de transfusion. La majorité des personnes participant aux essais avaient une forme de drépanocytose (HbSS). La majorité des opérations étaient considérées comme présentant un risque faible ou intermédiaire de provoquer des complications liées à la drépanocytose.

Deux des trois essais ont reçu un financement gouvernemental, tandis que le troisième essai n'a pas indiqué sa source de financement.

Principaux résultats

Il n'y avait aucune différence entre l’administration d’une transfusion sanguine avant l'opération visant à réduire le nombre drépanocytes en dessous d'un certain niveau (mode de transfusion agressif) et l’administration d’une transfusion sanguine visant à augmenter le nombre de globules rouges dans le sang (mode de transfusion conservateur) pour prévenir les complications chirurgicales ou liées à la drépanocytose immédiatement après l'opération.

L’administration d’une transfusion sanguine avant une opération pourrait prévenir le développement de problèmes pulmonaires liés à la drépanocytose. L'un des essais a été arrêté prématurément car un plus grand nombre de personnes ont développé des problèmes pulmonaires liés à la drépanocytose dans le groupe sans transfusion ; cependant, l'autre essai n'a pas montré de différence entre le fait d’administrer une transfusion sanguine avant l'opération et le fait de ne pas administrer de transfusion sanguine avant l'opération pour prévenir toute autre complication liée à la drépanocytose ou à la chirurgie immédiatement après l'opération.

Qualité des données probantes

La qualité des données probantes a été jugée très faible pour les critères de jugement de cette revue en raison du risque élevé de partialité des essais et car elle portait sur un petit nombre d'essais et que seul un petit nombre de participants étaient inclus dans les essais.

Conclusions des auteurs: 

Il n'y a pas suffisamment de données probantes issues d'essais randomisés pour déterminer si une transfusion sanguine préopératoire conservatrice est aussi efficace qu'une transfusion sanguine préopératoire agressive pour prévenir les complications liées à la drépanocytose ou à la chirurgie chez les personnes atteintes de drépanocytose. Il existe des données probantes de très faible qualité indiquant que la transfusion sanguine préopératoire pourrait prévenir le développement d'un syndrome thoracique aigu.

En raison du manque de données probantes, cette revue ne peut pas commenter la gestion des personnes atteintes de l'HbSC ou de la maladie HbSβ+ ou de celles qui présentent des concentrations d'hémoglobine de base élevées.

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Contexte: 

La drépanocytose est l'une des maladies monogéniques graves les plus courantes dans le monde, provoquée par l'héritage de deux gènes anormaux de l'hémoglobine (bêta-globine). La drépanocytose peut provoquer des douleurs intenses, des dommages importants aux organes vitaux, des complications pulmonaires et une mort prématurée. Les interventions chirurgicales sont plus fréquentes chez les personnes atteintes de drépanocytose, et se produisent à un âge beaucoup plus précoce que dans la population générale. Les transfusions sanguines sont fréquemment utilisées avant une opération et plusieurs modes différents sont utilisés, mais il n'existe pas de consensus sur la meilleure méthode ou sur la nécessité d'une transfusion dans des cas chirurgicaux spécifiques. Ceci est une mise à jour d'une revue Cochrane.

Objectifs: 

Déterminer s'il existe des données probantes indiquant que la transfusion sanguine préopératoire chez les personnes atteintes de drépanocytose qui subissent une chirurgie élective ou d'urgence réduit la mortalité et les événements indésirables graves périopératoires ou liés à la drépanocytose.

Comparer l'efficacité de différents modes de transfusion (agressif ou conservateur) si des transfusions préopératoires sont indiquées chez les personnes atteintes de drépanocytose.

Stratégie de recherche documentaire: 

Nous avons cherché des essais pertinents dans la Bibliothèque Cochrane, MEDLINE (à partir de 1946), Embase (à partir de 1974), la Transfusion Evidence Library (à partir de 1980), et les bases de données des essais en cours ; toutes les recherches sont à jour au 28 janvier 2020

Nous avons effectué des recherches dans le registre des essais cliniques du groupe Cochrane sur la mucoviscidose et autres maladies génétiques : 19 septembre 2019.

Critères de sélection: 

Tous les essais contrôlés randomisés et quasi-randomisés comparant les schémas de transfusion sanguine préopératoires à différents modes ou à l'absence de transfusion chez les personnes atteintes de drépanocytose qui subissent une chirurgie élective ou d'urgence. Il n'y a eu aucune restriction en fonction des critères de jugement examinés, de la langue ou du statut de la publication.

Recueil et analyse des données: 

Deux auteurs ont évalué indépendamment l'admissibilité des essais et le risque de biais et ont extrait des données.

Résultats principaux: 

Trois essais avec 990 participants étaient éligibles pour être inclus dans la revue. Aucun essai en cours n'a été identifié. Ces essais ont été menés entre 1988 et 2011. La majorité des personnes incluses avaient un taux d'hémoglobine (Hb) SS typique de la drépanocytose. La majorité des interventions chirurgicales ont été considérées comme présentant un risque faible ou intermédiaire de développer des complications liées à la drépanocytose.

Mode de transfusion agressif de globules rouges comparé au mode de transfusion simple

Un essai (551 participants) a comparé un mode de transfusion agressif (réduisant l'hémoglobine falciforme à moins de 30 %) à un mode de transfusion simple (augmentant l'hémoglobine à 100 g/L). Cet essai a procédé à une nouvelle randomisation des participants et l'analyse quantitative n'a donc été possible que sur deux sous-ensembles de données : les participants subissant une cholécystectomie (230 participants) ; et les participants subissant une opération des amygdales ou une adénoïdectomie (107 participants). Les données n'ont pas été combinées car nous ne savons pas si un participant a subi les deux opérations. Dans l'ensemble, la qualité des données probantes était très faible pour les différents résultats selon la méthodologie GRADE. Cela s'explique par le fait que l’essai présentait un risque élevé de biais, principalement en raison de l'absence d'aveuglement, de son caractère indirect et de l'imprécision des estimations des critères de jugement. Les résultats des sous-groupes de cholécystectomie sont présentés dans le résumé. Les résultats pour les deux sous-groupes étaient similaires.

Il n'y avait pas de différence de mortalité toutes causes confondues entre les personnes recevant des transfusions agressives et celles recevant des transfusions conservatrices. Aucun décès n'est survenu dans les deux sous-groupes.

Il n'y avait pas de différences entre le groupe de transfusion agressif et le groupe de transfusion conservateur en ce qui concerne le nombre de personnes développant :

- un syndrome thoracique aigu, risque relatif (RR) de 0,84 (intervalle de confiance (IC) à 95 % de 0,38 à 1,84) (un essai, 230 participants, données probantes de très faible qualité) ;

- une crise vaso-occlusive, risque relatif de 0,30 (IC à 95 % 0,09 à 1,04) (un essai, 230 participants, données probantes de très faible qualité) ;

- une infection grave, RR de 1,75 (IC à 95 % 0,59 à 5,18) (un essai, 230 participants, données probantes de très faible qualité) ;

- toute complication périopératoire, RR 0,75 (IC à 95 % 0,36 à 1,55) (un essai, 230 participants, données probantes de très faible qualité) ;

- une complication liée à une transfusion, RR 1,85 (IC à 95 % 0,89 à 3,88) (un essai, 230 participants, données probantes de très faible qualité).

Transfusion préopératoire ou absence de transfusion préopératoire

Deux essais (434 participants) ont comparé une transfusion préopératoire ajoutée à des soins standard à un groupe recevant des soins standard. Dans l'ensemble, la qualité des données probantes était faible à très faible pour différents critères de jugement selon la méthodologie GRADE. Cela s'explique par le fait que les essais présentent un risque élevé de biais en raison de l'absence d'aveuglement, et que les estimations des critères de jugement sont imprécises. Un essai a été arrêté prématurément car un plus grand nombre de personnes dans le bras non transfusé ont développé un syndrome thoracique aigu.

Il n'y a pas de différence de mortalité toutes causes confondues entre les personnes ayant reçu des transfusions préopératoires et celles qui n'en ont pas reçu (deux essais, 434 participants, aucun décès).

Il y avait une grande hétérogénéité entre les deux essais en ce qui concerne le nombre de personnes développant un syndrome thoracique aigu, il n’y a donc pas eu de méta-analyse effectuée. Un essai a montré un nombre réduit de personnes développant un syndrome thoracique aigu entre les personnes recevant des transfusions préopératoires et celles ne recevant pas de transfusions préopératoires, risque relatif 0,11 (intervalle de confiance à 95 % 0,01 à 0,80) (65 participants), alors que l'autre essai n'en a pas montré, RR 4,81 (IC à 95 % 0,23 à 99,61) (369 participants).

Il n'y a pas eu de différences entre les groupes ayant reçu une transfusion préopératoire et les groupes n'en ayant pas reçu, en ce qui concerne le nombre de personnes développant :

- une crise vaso-occlusive, rapport des cotes (OR) de Peto 1,91 (intervalle de confiance à 95 % 0,61 à 6,04) (deux essais, 434 participants, données probantes de très faible qualité).

- une infection grave, Peto OR 1,29 (IC à 95 % 0,29 à 5,71) (deux essais, 434 participants, données probantes de très faible qualité) ;

- toute complication périopératoire, RR 0,24 (IC à 95 % 0,03 à 2,05) (un essai, 65 participants, données probantes de faible qualité).

On a constaté une augmentation du nombre de personnes développant une surcharge circulatoire chez celles qui recevaient des transfusions préopératoires par rapport à celles qui n'en recevaient pas dans l'un des deux essais, et aucun événement n'a été observé dans l'autre essai (aucune méta-analyse effectuée).

Notes de traduction: 

Post-édition effectuée par Claire Bories et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr

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