Problématique de la revue
Cette revue visait à déterminer si la ventilation en position couchée sur le ventre pourrait avoir des effets positifs sur des critères importants, par exemple en réduisant le taux de mortalité chez les personnes nécessitant une ventilation mécanique en soins intensifs. Nous voulions également identifier les inconvénients et les complications associés au positionnement sur le ventre, ainsi que les bénéfices à long terme.
Contexte
Les personnes qui sont admises à l'unité de soins intensifs et qui ont besoin de l'aide d’un ventilateur (respirateur) pour respirer (ventilation mécanique), en raison de lésions pulmonaires causées par une maladie, courent un risque élevé de mourir. Les poumons affectés par des maladies telles que la pneumonie se composent de parties normales et anormales ou malades. La guérison des parties malades prend du temps, et la personne pourrait avoir besoin de l'aide d’un ventilateur pendant le processus. L’assistance respiratoire peut sauver des vies, car elle maintient des niveaux d'oxygène adéquats dans le sang tout en éliminant les déchets de dioxyde de carbone. Cependant, le ventilateur peut lui-même provoquer une inflammation et donc des complications pulmonaires supplémentaires. Plus un ventilateur doit travailler fort pour parvenir à une oxygénation normale et l’élimination du dioxyde de carbone, plus il est probable que des parties saines et normales des poumons soient endommagées et que l'état de la personne s'aggrave. La ventilation avec la personne allongée face vers le bas (décubitus ventral) plutôt que face vers le haut (décubitus dorsal) pourrait améliorer le fonctionnement du respirateur, réduisant ainsi ces effets secondaires indésirables.
Date des recherches
Les données probantes sont à jour au 1er mai 2020.
Caractéristiques des études
Nous avons identifié et inclus dans cette revue des essais contrôlés randomisés d'adultes qui comparaient la ventilation mécanique conventionnelle en position couchée sur le dos et la position couchée sur le ventre.
Principaux résultats
Les rapports de neuf essais sur 2165 participants (12 publications) montrent que la ventilation en décubitus ventral ne semble pas être bénéfique pour tous les participants nécessitant une ventilation. Les données probantes recueillies suggèrent certaines situations dans lesquelles elle pourrait améliorer la survie. Un groupe de participants présentant les lésions pulmonaires les plus graves semblait avoir un taux de mortalité réduit, tout comme les participants ayant reçu un traitement tôt et pendant de longues périodes. Des complications ont été observées. Les plus courantes sont les escarres (ou ulcères) et l'obstruction ou le blocage des tubes trachéaux. Une tension artérielle basse et un rythme cardiaque anormal ont également été observés. Le recours à la position couchée sur le ventre pour tous les participants en soins intensifs ayant un faible taux d'oxygène par les données probantes identifiées, mais certains groupes particuliers de participants, par exemple ceux dont le taux d'oxygène est particulièrement faible, bénéficieraient de la position couchée sur le ventre. D'autres essais cliniques aideraient à clarifier les potentiels avantages pour ces groupes de patients, mais d'autres essais pourraient ne pas avoir lieu en raison du très grand bénéfice thérapeutique observé lors du plus récent essai clinique auprès de participants ayant de très faibles taux d'oxygène. En l'absence de nouveaux essais, la méta-analyse des données individuelles des patients pourrait faciliter une évaluation plus approfondie ainsi que des études d'observation supplémentaires dans les populations à risque.
Qualité des données probantes
La qualité des données probantes sur les critères de jugement principaux de cette revue systématique était faible en raison de graves incohérences et d'importants biais potentiels.
Nous n'avons pas trouvé de données probantes convaincantes des bénéfices ou des risques de l'application universelle du DV chez les adultes hypoxémiques, ventilés mécaniquement dans les unités de soins intensifs (USI). Et ce, malgré les bénéfices observés dans l'un des essais ouverts réservés aux participants dont la maladie est plus grave. Trois sous-groupes (mise en œuvre précoce du décubitus ventral, adoption prolongée du décubitus ventral et hypoxémie sévère à l'inclusion dans l'étude) ont suggéré que le positionnement en décubitus ventral pourrait représenter un bénéfice en matière de mortalité, mais ces résultats doivent être interprétés avec prudence. Des études supplémentaires d'une puissance suffisante seraient nécessaires pour confirmer ou infirmer définitivement ces observations sur les bénéfices pour le sous-groupe. Cela est problématique, étant donnés les résultats du dernier essai ouvert montrant un bénéfice et les recommandations découlant de plusieurs analyses de sous-groupes publiées. Si la reproduction et la confirmation des résultats de ces essais, qui seraient souhaitables, ne sont pas réalistes, une méta-analyse formelle des données individuelles des patients et des études d'observation post-essai (comme cela se produit après les essais cliniques de phase III des médicaments) pourrait être utilisée pour confirmer le bénéfice apparent dans les populations à risque. Les complications telles que l'obstruction des tubes trachéaux et les ulcères de pression sont accrues avec l'utilisation d'une ventilation en décubitus ventral. Des données sur la mortalité à long terme (12 mois et plus), ainsi que des données fonctionnelles, neuropsychologiques et sur la qualité de vie sont nécessaires si l'on veut que les études futures éclairent mieux le rôle du décubitus ventral dans la gestion de l'insuffisance respiratoire hypoxémique en USI.
L'hypoxémie aiguë de novo ou sur fond d'hypoxémie chronique est un motif courant d'admission aux soins intensifs et de recours à la ventilation mécanique. Divers perfectionnements ou accessoires de la ventilation mécanique sont mis en œuvre pour améliorer les résultats des patients. La mortalité due au syndrome de détresse respiratoire aiguë, l'un des principaux facteurs contribuant au besoin de ventilation mécanique pour l'hypoxémie, reste d'environ 30 à 40 %. La ventilation en décubitus ventral pourrait améliorer les fonctions pulmonaires et l'échange gazeux ainsi que les résultats des patients.
Les objectifs de cette revue sont de déterminer si la ventilation en décubitus ventral offre un bénéfice sur le plan de la mortalité par rapport à la ventilation traditionnelle en décubitus dorsal ou en position demi-assise chez les patients adultes atteints d’insuffisance respiratoire aiguë sévère nécessitant une ventilation artificielle invasive classique.
Nous avons effectué des recherches dans CENTRAL, MEDLINE, EMBASE, CINAHL et LILACS jusqu'en mai 2020 pour trouver des essais contrôlés randomisés admissibles en utilisant une version actualisée de la stratégie de recherche de la version précédente de la revue. Nous avons ajouté une recherche dans le registre des études sur la COVID-19 de Cochrane.
Nous avons également recherché des études en effectuant une recherche manuelle dans les listes de référence et les citations d'articles pertinents, en contactant des collègues, en effectuant une recherche manuelle dans les actes publiés de revues pertinentes. En novembre 2020, nous avons effectué des recherches dans les registres d'essais pour les études en cours. Nous n'avons appliqué aucune restriction de langue ou de statut de publication.
Nous avons inclus les essais contrôlés randomisés (ECR) qui ont examiné les effets du décubitus ventral par rapport au décubitus dorsal/position demi-assise pendant la ventilation mécanique classique chez des adultes atteints d'hypoxémie aiguë.
Nous avons suivi les procédures méthodologiques standard définies par Cochrane. Nous avons analysé les données à l'aide du logiciel Review Manager et avons mis en commun les études incluses pour déterminer le risque relatif (RR) pour la mortalité et le risque relatif ou la différence moyenne (DM) pour les critères de jugement secondaires ; nous avons également effectué des analyses de sous-groupes et des analyses de sensibilité.
Nous avons identifié neuf ECR (12 publications) ouverts (sans aveugle) pertinents, qui ont enregistré un total de 2165 participants. Tous les participants recrutés souffraient de troubles de la fonction pulmonaire causant une hypoxémie modérée à sévère et nécessitant une ventilation mécanique. Ils étaient donc assez comparables étant donné la grande diversité des diagnostics de maladies spécifiques en soins intensifs. Il n'a pas été possible de mettre en aveugle les participants, les soignants, les testeurs cliniques et les autres décideurs quant à l'attribution des traitements (décubitus dorsal ou décubitus ventral). Cela prédispose au biais en ce qui concerne l'utilisation des co-interventions et aussi l'initiation de la mise en place ou du retrait du maintien en vie, une pratique courante dans les soins intensifs.
Les analyses primaires du taux de mortalité à court et à long terme regroupées à partir de six essais ont démontré un RR de 0,84 à 0,86 en faveur du décubitus ventral (DV), mais les résultats ne sont pas statistiquement significatifs : A court terme, le taux de mortalité chez les personnes sous ventilation mécanique était de 33,4 % en décubitus ventral (363/1086) et de 38,3 % en décubitus dorsal (395/1031). Cela a donné un RR de 0,84 (intervalle de confiance (IC) à 95 % de 0,69 à 1,02). En ce qui concerne la mortalité à long terme, les résultats ont montré 41,7 % (462/1107) en décubitus ventral et 47,1 % (490/1041) en décubitus dorsal, avec un RR de 0,86 (IC à 95 % : 0,72 à 1,03). La qualité des données probantes pour les deux critères de jugement a été jugée comme faible en raison de biais potentiellement importants et d'incohérences graves.
Les analyses de mortalité par sous-groupes ont identifié trois groupes favorisant systématiquement le DV : ceux qui ont été recrutés dans les 48 heures suivant la satisfaction des critères d’inclusion (cinq essais ; 1024 participants ; RR de 0,75 (IC à 95 % 0,59 à 94)) ; ceux qui ont été traités en DV pendant 16 heures ou plus par jour (cinq essais ; 1005 participants ; RR de 0,77 (IC à 95 % 0,61 à 0,99)) ; et les participants présentant une hypoxémie plus sévère à l'entrée dans l'essai (six essais ; 1108 participants ; RR de 0,77 (IC à 95 % 0,65 à 0,92)). La qualité des données probantes de ces résultats a été jugée modérée en raison d'un risque de biais potentiellement important.
Le positionnement en DV semble avoir une influence sur les effets indésirables : les ulcères de pression (quatre essais ; 823 participants) avec un RR de 1,25 (IC à 95 % 1,06 à 1,48) et l'obstruction des tubes trachéaux avec un RR de 1,78 (IC à 95 % 1,22 à 2,60) ont augmenté avec la ventilation en DV. Les rapports d'arythmies ont été réduits avec le DV, avec un RR de 0,64 (IC à 95 % 0,47 à 0,87).
Post-édition effectuée par Mary Saad et Cochrane France. Révision actualisée en mars 2021 dans le cadre de la collection spéciale sur le coronavirus (COVID-19) : données probantes pertinentes pour les soins intensifs. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr