Bilan
Il n'existe pas suffisamment de preuves pour soutenir ou réfuter la suggestion selon laquelle le fentanyl est efficace pour n'importe quel type de douleur neuropathique.
Contexte
La douleur neuropathique est une douleur causée par des lésions du système nerveux. Elle est différente des messages de douleur qui sont transmis au travers de nerfs sains depuis un tissu endommagé (par exemple lors d'une chute, d'une incision ou encore d'une arthrite au genou). La douleur neuropathique est traitée par des médicaments différents de ceux utilisés pour la douleur provenant de tissus endommagés (souvent appelés médicaments analgésiques). Il existe différents types de douleur neuropathique ayant des origines différentes. Certains médicaments qui sont utilisés pour traiter la dépression ou l'épilepsie peuvent être très efficaces chez certaines personnes souffrant de douleur neuropathique. Parfois, les analgésiques opiacés sont utilisés pour traiter la douleur neuropathique.
Les analgésiques opiacés sont des médicaments, tels que la morphine. La morphine est un dérivé de certaines plantes, mais de nombreux opiacés sont également créés par un processus de synthèse chimique plutôt que d'être extraits de plantes. Le Fentanyl est l'un de ces opioïdes créé de manière synthétique. Il est disponible dans de nombreux pays pour utilisation comme analgésique et, lorsqu'il est utilisé pour traiter la douleur chronique, il est généralement administré au moyen d'un patch adhésif, de sorte qu'il est absorbé par le corps au travers de la peau.
Caractéristiques de l'étude
En janvier 2016 nous avons recherché des essais cliniques où le fentanyl a été utilisé pour traiter la douleur neuropathique chez l'homme adulte. Nous avons trouvé une étude de petite taille sur le sujet et répondant à nos critères d'inclusion pour la revue. L'étude présentait un plan de conception (design) compliqué. Les participants ont tout d'abord reçu du fentanyl (en patchs à changer chaque jour) pour une durée d'un mois. Ceux ayant répondu au traitement (ayant atteint un niveau pré-déterminé de soulagement de la douleur) ont ensuite été aléatoirement assignés à continuer à recevoir du fentanyl ou un placebo pendant 12 semaines. Les participants présentaient l'un des trois différents types reconnus de douleur neuropathique et n'avaient pas pris d'opioïdes auparavant. Il n'y avait que 163 personnes dans la comparaison avec un placebo sur 12 semaines.
Résultats principaux
L'étude a observé que davantage de personnes prenant le fentanyl présentaient un soulagement de la douleur en comparaison avec celles prenant un placebo. Environ 1 participant sur 7 a arrêté de prendre du fentanyl en raison des effets secondaires, et 1 participant sur 5 n'a pas obtenu un niveau de soulagement de la douleur suffisant dans la première partie de l'étude. Près de la moitié des participants à la deuxième partie de l'étude ont également mis fin à leur participation. Les effets secondaires les plus fréquents étaient la constipation, des nausées (avoir mal au coeur), la somnolence (se sentir fatigué) et des vertiges. Ces effets secondaires sont typiques des opioïdes, tels que le fentanyl. Il y avait si peu d'informations dans cette seule étude que nous avons conclu qu'il n'existait aucune preuve convaincante permettant de soutenir ou de réfuter un bénéfice significatif en faveur du fentanyl par rapport au placebo.
Qualité des preuves
Nous avons évalué que la qualité des preuves était très faible parce qu'il n'y avait qu'une seule étude, avec peu de participants et d'événements, et sa conception était inhabituelle. Des preuves de très faible qualité signifient que nous avons un très haut niveau d'incertitude concernant les résultats.
Il n'existe pas suffisamment de preuves pour soutenir ou réfuter la suggestion selon laquelle le fentanyl fonctionne pour n'importe quel type de douleur neuropathique.
Les opiacés, y compris le fentanyl, sont couramment utilisés pour traiter la douleur neuropathique et sont considérés comme efficaces par certains professionnels. La majorité des revues ont examiné tous les opioïdes plutôt qu'une substance spécifique. Les auteurs de cette revue ont recherché des preuves spécifiquement pour le fentanyl, à n'importe quelle dose et par n'importe quelle voie d'administration. D'autres opioïdes sont pris en compte dans des revues distinctes.
Évaluer l'efficacité analgésique du fentanyl pour la douleur neuropathique chronique chez les adultes, et les événements indésirables associés à son utilisation dans des essais cliniques.
Nous avons effectué des recherches dans le registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL), MEDLINE et EMBASE depuis leur création jusqu'en juin 2016, ainsi que dans les listes bibliographiques des articles extraits, et deux registres d'études en ligne.
Nous avons inclus des études randomisées, en double aveugle, d'une durée de deux semaines ou plus, comparant le fentanyl (sans restriction par rapport à la dose offerte, la voie d'administration ou la formulation) à un placebo ou à un autre traitement actif contre la douleur neuropathique chronique.
Deux auteurs de la revue ont recherché les études, extrait les données portant sur l'efficacité et les événements indésirables, et ont examiné la qualité et les biais potentiels. Aucune analyse groupée n'a été réalisée. Nous avons évalué la qualité des preuves en utilisant le système GRADE.
Une seule étude répondait aux critères d'inclusion. Les participants étaient des hommes et des femmes (moyenne d'âge de 67 ans), présentant une névralgie post-herpétique, un syndrome complexe de douleur locale ou une douleur postopératoire chronique. Ces personnes ressentaient un soulagement inadéquat avec des analgésiques non opiacés et n'avaient pas précédemment pris d'opiacés pour le traitement de leur douleur neuropathique. L'étude utilisait un plan d'étude de sevrage randomisé à recrutement enrichi (EERW). La mise en aveugle était adéquate, mais nous avons jugé qu'elle présentait un risque de biais incertain quant à d'autres critères.
Le fentanyl transdermique (un patch de fentanyl à renouveler chaque jour) a été titré pendant 10 à 29 jours pour déterminer la dose maximale tolérée et efficace (de 12,5 à 50 µg/h). Les participants ayant obtenu un bon niveau de soulagement prédéfini de la douleur avec une dose stable de fentanyl, sans utilisation excessive d'un médicament de secours ou sans événements indésirables intolérables (les « personnes répondant au traitement »), ont été randomisés entre deux options : poursuivre le fentanyl ou passer à un placebo pendant 12 semaines, dans des conditions de double aveugle. Nos critères de jugement principaux prédéfinis n'étaient pas appropriés par rapport à la conception de cette étude, mais les mesures rapportées permettent d'offrir une indication de l'efficacité du fentanyl pour cette indication.
Dans la phase de titration, 1 participant sur 3 a arrêté le traitement en raison d'événements indésirables ou d'un soulagement de la douleur insuffisant et près de 90 % présentaient des événements indésirables. Sur les 258 participants ayant subi une titration ouverte (open-label), 163 ont répondu au traitement et ont été inclus dans la phase de sevrage randomisé. Le nombre de participants ayant terminé l'étude (et donc continuant d'utiliser le traitement), sans augmentation de la douleur supérieure à 15/100 était de 47/84 (56 %) avec le fentanyl et 28/79 (35 %) avec un placebo. Le fait que seulement 63 % des participants ont réagi suffisamment au traitement pour passer dans la phase de sevrage randomisé implique que seulement un maximum de 35 % des participants inclus dans l'étude auraient obtenu un soulagement suffisant de la douleur associé à une bonne tolérance du fentanyl transdermique, contre 22 % avec un placebo. Près de 60 % des participants sous fentanyl étaient « satisfaits » et « très satisfaits » quant à leur traitement à la fin de l'étude, comparé à environ 40 % avec le placebo. Ce critère de jugement se rapproche de notre critère de jugement principal, soit un bénéfice modéré mesuré à l'aide de l'échelle « Patient Global Impression of Change », mais le groupe était enrichi pour les répondants et la méthode d'analyse n'était pas claire. Les événements indésirables les plus courants étaient la constipation, les nausées, la somnolence et des vertiges.
Il n'y avait aucune information concernant d'autres types de douleur neuropathique, d'autres voies d'administration, ou des comparaisons avec d'autres traitements.
Nous avons rabaissé la qualité des preuves à très faible parce qu'il n'y avait qu'une seule étude, avec peu de participants et d'événements, et il n'y avait aucune information concernant la manière dont les données des personnes qui se sont retirées de l'essai ont été analysées.
Traduction réalisée par Martin Vuillème et révisée par Cochrane France