Problématique de la revue
Nous avons examiné les données probantes existantes pour savoir si les médicaments antifibrinolytiques (médicaments qui préviennent la rupture d'un caillot sanguin), comme l'acide tranexamique ou l'acide epsilon-aminocaproïque, pouvaient prévenir les saignements buccaux après une chirurgie buccale mineure ou une extraction dentaire chez les personnes sous anticoagulants oraux (fluidifiants sanguins pris par voie orale) sans interruption pendant la procédure.
Contexte
Les personnes sous traitement anticoagulant oral continu courent un risque accru de complications hémorragiques pendant et après une chirurgie buccale ou une extraction dentaire. Il existe deux types d'anticoagulants oraux : les antagonistes de la vitamine K (AVK) (p. ex. warfarine et coumarine) et les anticoagulants oraux directs (AOD) (p. ex. dabigatran, rivaroxaban, apixaban et édoxaban). Les AOD sont de plus en plus utilisés comme alternative aux AVK, traditionnellement utilisés pour prévenir la coagulation sanguine chez les personnes exposées à des risques de thrombose. Le nombre de saignements et la gravité de chaque saignement dépendent de facteurs liés aux médicaments (tels que le degré d'anticoagulation mesuré par le rapport normalisé international (RIN)), de facteurs liés à la chirurgie (tels que la taille de la plaie ou le nombre de racines extraites), ainsi que de facteurs liés au patient (tels que l'inflammation des gencives ou la maladie des vaisseaux sanguins). Le taux de RIN est important pour déterminer l’efficacité du traitement anticoagulant pour prévenir la formation de caillots sanguins. À l'intérieur de la plage désirée du RIN, une personne présente à la fois le risque le plus faible de complications liées à la coagulation sanguine et le risque le plus faible de saignements excessifs. Dans la pratique courante, le traitement antifibrinolytique est souvent utilisé avant, pendant et après une chirurgie buccale mineure ou une extraction dentaire chez les personnes sous anticoagulants oraux. La question est de savoir s'il existe des preuves scientifiques probantes pour cette pratique.
Date de la recherche
Les preuves sont à jour au : 04 janvier 2018.
Caractéristiques de l'étude
Nous n’avons trouvé aucun essais portant sur les médicaments antifibrinolytiques pour la prévention des saignements après une chirurgie buccale mineure ou une extractions dentaire chez les personnes sous traitement par AOD. Cette revue comprend quatre essais (253 participants) menés parmi des personnes traitées de façon continue par AVK pendant une chirurgie buccale mineure ou une extraction dentaire. L’essai inclus le plus ancien a été publié en 1989 et le plus récent en 2015. L'âge moyen de tous les participants était de 60 ans. Le temps de suivi pour tous les essais était de sept jours.
Résultats principaux
Dans l'ensemble, les essais inclus ont montré une réduction du nombre de saignements après extraction dentaire lors de l'utilisation d'une solution d'acide tranexamique dans la bouche. En combinant les résultats des différents essais, il est apparu que les antifibrinolytiques réduisent le taux de saignement après extraction dentaire de 25% en comparaison au placebo (traitement « factice»). Cependant, il n'y avait pas de différence entre le taux de saignement entre les personnes traitées à l'acide tranexamique et celles traitées avec des soins standard (p. ex. compression de gaze ou sutures). Les effets secondaires des médicaments antifibrinolytiques ont été rares et n'ont pas entraîné l'arrêt du traitement à l'acide tranexamique par les patients.
Aucune preuve n'a été trouvée pour les personnes traitées par AOD. Nous pourrions toutefois soutenir que, si le traitement antifibrinolytique est efficace chez les personnes sous traitement continu par AVK, il pourrait également l’être chez les personnes prenant des médicaments anticoagulants comparables.
Qualité des preuves
Concernant les deux principaux critères de jugement de la revue systématique, soit le nombre de saignements postopératoires et les effets secondaires du traitement, nous avons jugé qu'il existait des preuves de qualité moyenne.
Dans les deux essais comparant l'acide tranexamique et le placebo, le risque de biais par rapport à la conception de l'essai a été jugé faible ; dans les deux essais comparant l'acide tranexamique aux soins standard (éponge de gélatine et sutures ou compression de gaze sèche), le risque de biais a été jugé modéré. Cela s'explique principalement par l'absence d'insu (un moyen de s'assurer que les personnes participant à l'essai ne savent pas à quel bras de l’étude elles sont affectées) et par un masquage de la répartition (recours au hasard pour l’affectation des participants aux groupes témoins pour éviter un biais de sélection) inadéquat dans deux de ces essais. De plus, les essais différaient sur les protocoles de soins standard.
D'après les résultats de cette revue Cochrane, il semble y avoir un effet bénéfique du TXA appliqué localement pour la prévention des saignements buccaux chez les personnes sous traitement continu par AVK subissant une chirurgie buccale mineure ou une extraction dentaire. Cependant, le nombre limité d'essais randomisés contrôlés identifiés, le nombre relativement faible de participants inclus dans les essais et les différences dans le traitement standard et les schémas thérapeutiques entre les essais ne nous permettent pas de conclure à l'efficacité certaine du traitement antifibrinolytique dans cette population.
Nous n'avons pas été en mesure d'identifier d'essais admissibles chez des personnes sous traitement continu par AOD subissant une intervention buccale ou dentaire. Par conséquent, l'effet bénéfique de la thérapie antifibrinolytique ne peut actuellement être considéré que sur la base des données fournies par les personnes sous AVK.
Les personnes sous traitement continu par antagonistes de la vitamine K (AVK) ou anticoagulants oraux directs (AOD) courent un risque accru de complications hémorragiques pendant et après une intervention buccale ou dentaire. Il est préférable de poursuivre le traitement anticoagulant à la même dose, puisque la réduction de la dose ou l'arrêt du traitement est associé à un risque accru de thromboembolie. L'utilisation de mesures hémostatiques pendant ou après l'intervention (ou les deux) pourrait permettre de poursuivre le traitement anticoagulant oral.
Notre but était d’évaluer l'efficacité des agents antifibrinolytiques pour la prévention des complications hémorragiques chez les personnes sous anticoagulants oraux subissant une chirurgie buccale mineure ou une extraction dentaire.
Nous avons effectué une recherche dans le registre des essais sur les coagulopathies du groupe Cochrane sur la mucoviscidose et les autres maladies génétiques, compilé à partir de recherches dans des bases de données électroniques et de recherches manuelles dans les revues et les recueils de résumés d'actes de conférence. Nous avons également consulté les listes bibliographiques de revues et d’articles pertinents. Nous avons fait des recherches dans PubMed, Embase et la bibliothèque Cochrane. D'autres recherches ont été effectuées à l'aide de ClinicalTrials.gov, de l'International Clinical Trials Registry Platform (ICTRP), de la base de données du CINAHL sur les services infirmiers et paramédicaux, de la base de données en libre accès ProQuest Dissertations, des articles et rapports du American College of Clinical Pharmacy (ACCP) et de résumés des conférences scientifiques annuelles.
Date de la dernière recherche : 04 janvier 2018.
Essais contrôlés randomisés et quasi-randomisés chez des personnes sous traitement continu par AVK ou AOD subissant une intervention buccale ou dentaire utilisant des agents antifibrinolytiques (acide tranexamique (TXA) ou acide epsilon-aminocaproïque) pour prévenir le saignement péri-opératoire, comparativement à aucune intervention ou soins habituels avec ou sans placebo.
Deux auteurs ont examiné indépendamment les titres et les résumés de tous les articles identifiés. Les textes intégraux ont été obtenus pour les résumés potentiellement pertinents et deux auteurs ont évalué de façon indépendante leur éligibilité en fonction des critères de sélection. Un troisième auteur a vérifié l'admissibilité des essais. Deux auteurs ont procédé indépendamment à l'extraction des données et à l'évaluation du risque de biais à l'aide de formulaires normalisés. La qualité des preuves a été évaluée au moyen de la méthode GRADE.
Aucun essai admissible chez les personnes sous traitement continu par AOD subissant des interventions buccales ou dentaires n’a été identifié.
Trois essais randomisés et un essai quasi-randomisé (chacun avec un suivi de sept jours) chez des personnes sous traitement continu par AVK ont été inclus avec un total de 253 participants (moyenne d’âge de 60 ans). Deux essais publiés en 1989 et 1993 ont comparé l'agent antifibrinolytique TXA avec un placebo chez des personnes sous traitement par AVK. Deux autres essais ont été publiés en 1999 et 2015 et ont comparé le TXA à l’éponge de gélatine associée aux sutures, et à la compression d’une gaze sèche, respectivement. Dans tous les essais inclus, les patients traités par AVK présentaient des valeurs de rapport normalisé international (RIN) situées dans la plage thérapeutique et le TXA a été appliqué localement et non de façon systématique.
Les deux essais de 1989 et 1993 comparant le TXA au placebo ont montré un effet bénéfique statistiquement significatif sur le nombre d'épisodes hémorragiques postopératoires majeurs nécessitant une intervention, avec une différence des risques (DR) regroupée de -0,25 (intervalle de confiance (IC) à 95% = -0,36 à -0,14) (128 participants) (preuves de qualité moyenne). Pour les deux essais qui ont comparé le TXA soit à l’éponge de gélatine et sutures, soit à la compression de gaze sèche, aucune différence entre le TXA et le groupe de soins standard n’était rapportée, DR = 0,02 (IC à 95 % = -0,07 à 0,11) (125 participants) (preuves de qualité moyenne). La DR combinée de tous les essais inclus était de -0,13 (IC à 95 % = -0,30 à 0,05) (preuves de qualité moyenne). Aucun effet secondaire de la thérapie antifibrinolytique n'a nécessité l'arrêt du traitement (128 participants) (preuves de qualité moyenne). Malgré l'hétérogénéité entre les essais des différentes mesures hémostatiques utilisées dans les groupes témoins, les essais étaient comparables concernant la conception et les caractéristiques de base des participants.
Dans l'ensemble, nous avons considéré que le risque de biais était faible dans les essais comparant le TXA au placebo et modéré dans les essais comparant le TXA avec d’autres mesures hémostatiques
Post-édition : Morgane Le Collinet - Révision : Chama Chellaoui (M2 ILTS, Université Paris Diderot)