Contexte
Les moustiquaires imprégnées d'insecticide aux pyréthrinoïdes constituent un moyen efficace de réduire la transmission du paludisme et ont été déployées dans toute l'Afrique. Cependant, les moustiques qui propagent le paludisme développent actuellement une résistance à ce type d'insecticide. Pour surmonter cette résistance, il est possible d'ajouter à la moustiquaire un autre produit chimique, le butoxyde de pipéronyle (PBO). Le PBO n'est pas un insecticide, mais il bloque la substance (une enzyme) présente dans le moustique et qui empêche les pyréthrinoïdes d'agir.
Quel est l’objectif de cette revue ?
L'objectif de cette revue Cochrane est de déterminer si les moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes-PBO offrent une protection supplémentaire contre le paludisme par rapport aux moustiquaires standard imprégnées des seuls pyréthrinoïdes.
Principaux messages
Les moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes-PBO sont plus efficaces que les moustiquaires standard imprégnées des seuls pyréthrinoïdes pour tuer les moustiques et les empêcher de se nourrir de sang dans les zones où les populations de moustiques sont très résistantes aux insecticides à base de pyréthrinoïdes (données probantes d’un niveau de confiance élevé). Les moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes-PBO ont réduit le nombre d'infections palustres dans les zones de forte résistance aux pyréthrinoïdes (données probantes d’un niveau de confiance modéré) ; toutefois, des études supplémentaires sont nécessaires afin de mesurer les résultats cliniques sur toute la durée de vie de la moustiquaire.
Qu'étudie cette revue ?
Nous avons inclus 16 essais menés entre 2010 et 2020, qui comparaient les moustiquaires standard à base de pyréthrinoïdes aux moustiquaires à base de pyréthrinoïdes-PBO. Il s’agissait de dix essais dans des habitations expérimentales qui mesuraient l'impact des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO sur une population sauvage de moustiques, de quatre essais dans des villages et de deux ECR en grappe. Les deux ECR en grappe ont mesuré l'impact des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO sur l'infection palustre chez l'homme ; toutes les autres études ont regardé leur impact sur les populations de moustiques. Nous avons analysé les études menées dans des habitations expérimentales et les villages afin de déterminer si les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO étaient plus efficaces pour tuer les moustiques et les empêcher de se nourrir de sang. Pour les deux ECR en grappe, nous avons cherché à savoir si les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO réduisaient le nombre d'infections palustres. Comme le bénéfice de l'ajout de PBO aux moustiquaires est susceptible de dépendre du niveau de résistance aux pyréthrinoïdes dans la population de moustiques, nous avons effectué des analyses distinctes pour les études menées dans des zones où les niveaux de résistance aux pyréthrinoïdes sont élevés, moyens et faibles.
Quels sont les principaux résultats de cette revue ?
Lorsque les moustiques présentent des niveaux élevés de résistance aux pyréthrinoïdes, les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO sont plus efficaces que les moustiquaires standard à base des seuls pyréthrinoïdes pour tuer les moustiques et les empêcher de se nourrir de sang. Comme attendu, cet effet n'est pas observé dans les zones où les moustiques présentent une résistance faible ou nulle aux insecticides à base des seuls pyréthrinoïdes. Deux essais ont examiné l'impact de l'utilisation de moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO sur le nombre de personnes infectées par le parasite du paludisme. Ces essais, auxquels ont participé 10 603 personnes au total et qui ont été menés dans une zone où les moustiques sont très résistants aux pyréthrinoïdes, ont montré qu’un nombre moindre de personnes étaient infectées par le paludisme lorsque la population utilisait des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO plutôt que des moustiquaires standard à base des seuls pyréthrinoïdes.
Cette revue est-elle à jour ?
Nous avons recherché toutes les études et tous les essais publiés jusqu'au 25 septembre 2020.
Dans les zones à forte résistance aux insecticides, les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO ont une efficacité entomologique et épidémiologique supérieure par rapport aux MILD standard, avec une réduction durable de la prévalence des parasites, une mortalité plus élevée des moustiques et une réduction des taux de repas de sang des moustiques 21 à 25 mois après l'intervention. Des questions subsistent quant à la durabilité du butoxyde de pipéronyle (PBO) sur les moustiquaires car l'impact des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO sur la mortalité des moustiques n'a pas été permanent après 20 lavages, dans les essais en habitation expérimentale ; en outre, les données épidémiologiques sur les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO pendant toute leur durée de vie prévue de trois ans ne sont pas disponibles. Il existe peu de données probantes en faveur d'une plus grande efficacité entomologique des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO dans les zones où les moustiques présentent des niveaux plus faibles de résistance aux pyréthrinoïdes.
Les moustiquaires imprégnées d'insecticide longue durée (MILD) à base de pyréthrinoïdes ont joué un rôle important dans la forte réduction des cas de paludisme en Afrique, mais la résistance des anophèles aux insecticides menace leur impact. Les synergistes d'insecticides pourraient contribuer à maîtriser les populations résistantes aux insecticides. Le butoxyde de pipéronyle (PBO) en est un exemple ; il a été incorporé aux MILD à base de pyréthrinoïdes pour former des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO, qui sont actuellement produites par cinq fabricants de MILD et qui, conformément à une recommandation de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2017, sont incluses dans les campagnes de distribution. Cette revue examine les données probantes, épidémiologiques et entomologiques, liées à l’efficacité de l'ajout de PBO aux moustiquaires à base de pyréthrinoïdes.
Comparer les effets des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO actuellement en cours d’élaboration ou commercialisées et les effets de leurs équivalents non-PBO en ce qui concerne :
1. l'infection par le parasite du paludisme (prévalence ou incidence) ;
2. les résultats entomologiques.
Nous avons effectué des recherches dans le registre spécialisé du groupe Cochrane sur les maladies infectieuses (CIDG), CENTRAL, MEDLINE, Embase, Web of Science, CAB Abstracts et dans deux registres d'essais cliniques (ClinicalTrials.gov et le système d'enregistrement international des essais cliniques (ICTRP) de l'OMS) jusqu'au 25 septembre 2020. Nous avons contacté des organismes pour obtenir des données non publiées. Nous avons vérifié les références bibliographiques des essais identifiés par ces méthodes.
Nous avons inclus les essais en habitation expérimentale, les essais en village et les essais contrôlés randomisés (ECR) avec des moustiques du complexe Anopheles gambiae ou du groupe Anopheles funestus.
Deux auteurs de la revue ont évalué l'éligibilité de chaque essai, extrait les données et déterminé le risque de biais pour les essais inclus. Nous avons réglé les désaccords par la discussion avec un troisième auteur de la revue. Nous avons analysé les données à l'aide de Review Manager 5 et évalué le niveau de confiance des données probantes à l’aide du système GRADE.
Seize essais répondaient aux critères d'inclusion : dix essais en habitation expérimentale, quatre essais en village et deux ECR en grappe. Trois essais sont en attente de classification et quatre essais sont en cours.
Deux ECR en grappe ont examiné les effets des moustiquaires à base de pyréthrinoïdes-PBO sur la prévalence des parasites chez les personnes vivant dans des zones où les moustiques sont très résistants aux pyréthrinoïdes (mortalité des moustiques < 30 % dans les tests de dose discriminatoire). 21 à 25 mois après l'intervention, la prévalence des parasites était plus faible dans le bras d'étude de l’intervention (rapport des cotes (RC) 0,79, intervalle de confiance à 95 % (IC) 0,67 à 0,95 ; 2 essais, 2 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance modéré).
Dans les zones hautement résistantes aux pyréthrinoïdes, les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO non lavées ont entraîné une mortalité plus élevée des moustiques que les MILD standard non lavées (risque relatif (RR) 1,84, IC à 95 % 1,60 à 2,11 ; 14 620 moustiques, 5 essais, 9 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance élevé) et une réduction de la capacité à se nourrir de sang (RR 0,60, IC à 95 % 0,50 à 0,71 ; 14 000 moustiques, 4 essais, 8 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance élevé). Cependant, dans les comparaisons entre les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO lavées et les MILD standard lavées, nous ne savons pas si les moustiquaires PBO ont eu un effet plus important sur la mortalité des moustiques (RR 1,20, IC à 95 % 0,88 à 1,63 ; 10 268 moustiques, 4 essais, 5 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance très faible), bien que les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO lavées aient diminué la capacité hématophage par rapport aux MILD standard (RR 0,81, IC à 95 % 0,72 à 0,92 ; 9 674 moustiques, 3 essais, 4 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance élevé).
Dans les zones où la résistance aux pyréthrinoïdes est modérée (31% à 60% de mortalité des moustiques), la mortalité des moustiques était plus élevée avec les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO non lavées qu'avec les MILD standard non lavées (RR 1,68, IC à 95 % 1,33 à 2,11 ; 1 007 moustiques, 2 essais, 3 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance modéré), mais il y avait peu ou pas de différence sur la capacité hématophage (RR 0,90, IC à 95 % 0,72 à 1,11 ; 1 006 moustiques, 2 essais, 3 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance modéré). Pour les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO lavées, par rapport aux MILD standard lavées, nous n'avons trouvé que peu ou pas de données probantes relatives à une mortalité plus élevée des moustiques ou une réduction de la capacité à se nourrir de sang (mortalité : RR 1,07, IC à 95 % 0,74 à 1,54 ; 329 moustiques, 1 essai, 1 comparaison, données probantes d’un niveau de confiance faible ; capacité à se nourrir de sang : RR 0,91, IC à 95 % 0,74 à 1,13 ; 329 moustiques, 1 essai, 1 comparaison ; données probantes d’un niveau de confiance faible).
Dans les zones où la résistance aux pyréthrinoïdes est faible (61 % à 90 % de mortalité des moustiques), les études ont rapporté peu ou pas de différence sur les effets des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO non lavées par rapport aux MILD standard non lavées sur la mortalité des moustiques (RR 1,25, IC à 95 % 0,99 à 1,57 ; 1 580 moustiques, 2 essais, 3 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance modéré), et nous ne savons pas s'il y a eu un effet sur la capacité hématophage (RR 0,75, IC à 95% 0,27 à 2,11 ; 1 580 moustiques, 2 essais, 3 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance très faible). Pour les moustiquaires pyréthroïdes-PBO lavées par rapport aux MILD standard lavées, nous ne savons pas s'il y avait une différence sur la mortalité des moustiques (RR 1,39, IC à 95 % 0,95 à 2,04 ; 1 774 moustiques, 2 essais, 3 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance très faible) ou sur la capacité à se nourrir de sang (RR 1,07, IC à 95 % 0,49 à 2,33 ; 1 774 moustiques, 2 essais, 3 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance faible).
Dans les zones où les populations de moustiques sont sensibles aux insecticides (mortalité des moustiques > 90 %), il est probable qu'il y ait peu ou pas de différences, entre les effets des moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO non lavées et ceux des MILD standard non lavées, sur la mortalité des moustiques (RR 1,20, IC à 95 % 0,64 à 2,26 ; 2 791 moustiques, 2 essais, 2 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance faible). Ce constat est similaire pour les moustiquaires lavées (RR 1,07, IC à 95 % 0,92 à 1,25 ; 2 644 moustiques, 2 essais, 2 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance faible). Nous ne savons pas si les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO non lavées ont eu un effet sur la capacité hématophage des moustiques sensibles (RR 0,52, IC à 95 % 0,12 à 2,22 ; 2 791 moustiques, 2 essais, 2 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance très faible). Il en est de même pour les moustiquaires lavées (RR 1,25, IC à 95 % 0,82 à 1,91 ; 2 644 moustiques, 2 essais, 2 comparaisons ; données probantes d’un niveau de confiance faible).
Dans les essais en village comparant les moustiquaires pyréthrinoïdes-PBO aux MILD standard, il n’y avait pas de différence sur l’indice sporozoïtique (4 essais, 5 comparaisons) ni sur la parité des moustiques (3 essais, 4 comparaisons).
Post-édition effectuée par Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr