Question examinée : quelles émulsions lipidiques produisent les meilleurs résultats chez les nourrissons nés à terme et un peu avant terme (c’est-à-dire nés après 34 semaines de grossesse) avec ou sans maladie hépatique préexistante ou maladies nécessitant une intervention chirurgicale ?
Contexte : traditionnellement, les nourrissons nécessitant une alimentation par voie intraveineuse (appelée ''parentérale'') reçoivent des émulsions lipidiques exclusivement à base d'huile de soja pure. Cependant, la teneur élevée en acides gras polyinsaturés (AGPI) et en phytostérols dans les émulsions lipidiques à base d'huile de soja peut être nocive et contribuer à des complications hépatiques associées à la nutrition parentérale et à d'autres effets secondaires. De nouvelles émulsions utilisant d'autres sources de lipides, y compris l'huile de poisson, peuvent potentiellement améliorer les résultats cliniques chez les nourrissons nés à terme et peu avant terme en diminuant la teneur en AGPI et en offrant des avantages additionnels.
Caractéristiques des études : Les auteurs ont examiné la littérature médicale et identifié neuf études (incluant 273 enfants prématurés). Les études ont été incluses jusqu’au 18 juin 2018.
Principales conclusions : il y a peu d'études publiées dans ce domaine et un grand nombre d'entre elles ont été interrompues précocement. Des données limitées et de très faible qualité suggèrent que les émulsions lipidiques à base d'huile de poisson pourraient améliorer certains résultats liés aux maladies du foie chez les nourrissons atteints d'une maladie du foie préexistante. Toutefois, ces données proviennent principalement de deux petites études incluant très peu de participants et l'une des études a été interrompue prématurément, de sorte qu'aucune conclusion précise n'a pu être émise. Aucun avantage supplémentaire sur le plan clinique, qu’il s’agisse d'effets sur le risque de septicémie, le taux de croissance, ou le risque de décès, n'a été observé avec quelques émulsions lipidiques que se soit, y compris celles à base d'huile de poisson, chez les nourrissons nés à terme et peu avant terme, et atteints de maladies nécessitant une intervention chirurgicale ou de maladies du foie. Nous n'avons trouvé aucune étude chez les nourrissons sans maladie nécessitant une intervention chirurgicale ou maladie hépatique préexistante.
Conclusions : Nous avons constaté le manque de données provenant d'études bien conçues pour déterminer les effets bénéfiques des émulsions lipidiques, y compris celles à base d'huile de poisson par rapport à d’autres émulsions, pour prévenir ou traiter maladies du foie ou autres issues cliniquement importantes chez les nourrissons nés à terme ou après 34 semaines de gestation et atteints d'une maladie hépatique préexistante ou d'une affection nécessitant une intervention chirurgicale.
D'après cette revue, il n'y a pas suffisamment de données provenant d'études randomisées pour déterminer avec certitude, les avantages d’utiliser une émulsion lipidique plutôt qu’une autre, y compris celles contenant de l'huile de poisson, pour la prévention ou la résolution de la MHANP/cholestase ou tout autre condition chez les nourrissons nés à terme ou peu avant terme et présentant des maladies necessitant une intervention chirurgicale ou une cholestase sous-jacentes. Aucune étude n'a été menée chez des nourrissons n'ayant pas d'affections chirurgicales ou ne souffrant pas de cholestase.
D'autres études sont nécessaires pour établir si l'huile de poisson ou d'autres sources lipidiques dans les émulsions peuvent améliorer la MHANP/cholestase ou d'autres conditions cliniques chez les nourrissons nés à terme ou peu avant terme et alimentés par voie parentérale.
Les émulsions lipidiques constituent un élément essentiel de la nutrition des nourrissons gravement malades, nés à terme ou peu avant terme, en particulier s'ils souffrent d'insuffisance gastro-intestinale. Les émulsions lipidiques à base d'huile de soja qui sont traditionnellement utilisées ont une teneur élevée en acides gras polyinsaturés (AGPI) et en phytostérols qui peuvent contribuer à des effets indésirables, notamment à une maladie hépatique associée à la nutrition parentérale (MHANP).
Comparer l'innocuité et l'efficacité de toutes les émulsions lipidiques pour la nutrition parentérale chez les nourrissons nés à terme ou peu avant terme (à la 35ème ou 36ème semaine de grossesse) avec ou sans condition chirurgicale ou MHANP, durant les six premiers mois de vie, en utilisant toutes les comparaisons directes possibles.
Nous avons utilisé la stratégie de recherche standard de Cochrane Neonatal pour effectuer des recherches dans le Registre Central des Essais Contrôlés de Cochrane (CENTRAL 2018, numéro 5), MEDLINE (1946 au 18 juin 2018), Embase (1974 au 18 juin 2018), CINAHL (1982 au 18 juin 2018), MIDRIS (1971 au 31 mai 2018), les comptes rendus des congrès, les registres des essais cliniques (ClinicalTrials.gov et WHO's Trials Registry) ainsi que dans les références des publications des résultats des essais contrôlés (quasi-)randomisés.
Études contrôlées randomisées ou quasi-randomisées chez des nourrissons nés à terme ou peu avant terme, et avec ou sans condition chirurgicale ou MHANP.
La collecte et l'analyse des données ont été effectuées conformément aux méthodes de Cochrane Neonatal. Nous avons utilisé l'approche GRADE pour évaluer la qualité des résultats principaux, en plus de rendre compte de la signification statistique conventionnelle des résultats.
Cette revue a identifié neuf études randomisées (n = 273). Les émulsions lipidiques ont été classées en trois grands groupes : 1. toutes les émulsions lipidiques contenant de l'huile de poisson, y compris celles contenant de l'huile de poisson pure (EL-P) et celles ne contenant pas exclusivement de l'huile de poisson: triglycérides à chaîne moyenne et huiles d'olive, de poisson et de soja (EL-MOPS); triglycérides à chaîne moyenne et huiles de poisson et de soja (EL-MPS); et huiles d'olive, de poisson, et de soja (EL-OPS) ; 2. émulsion lipidique conventionnelle contenant l'huile de soja pure (EL-S) ; 3. émulsions lipidiques alternatives (p.ex. triglycérides à chaîne moyenne et huile de soja (EL-MS); huiles d’olive et de soja (EL-OS); et huile de bourrache)
Nous avons considéré quatre grandes comparaisons : 1. toutes les émulsions contenant de l'huile de poisson par rapport à celles ne contenant pas d'huile de poisson (6 études ; n = 182) ; 2. les émulsions contenant de l'huile de poisson comparées les unes par rapport aux autres (0 étude) ; 3. les émulsions lipidiques alternatives (p.ex. EL-MS ou EL-OS ou huile de bourrache) par rapport à l'émulsion lipidique conventionnelle (EL-S) (3 études ; n = 91) ; 4. les émulsions lipidiques alternatives comparées les unes par rapport aux autres (0 étude), chez des nourrissons nés à terme ou peu avant terme, présentant des affections chirurgicales (7 études ; n = 233) ou une MHANP/cholestase (2 études ; n= 40).
La MHANP/cholestase a été définie comme correspondant à une concentration de bilirubine conjuguée égale ou supérieure à 2 mg/dL et la résolution de la maladie correspondant à une concentration à moins de 2 mg/dL. Nous n'avons imposé aucune restriction quant au moment de la détection de la MHANP. Il y avait une hétérogénéité dans les définitions et les points dans le temps pour la détection de la MHANP dans les études incluses.
Nous n'avons trouvé aucune différence entre les émulsions lipidiques contenant de l'huile de poisson et EL-S sur l'incidence ou la résolution de la MHANP/cholestase dans une étude chez les nourrissons présentant une maladie nécessitant une intervention chirurgicale et une étude chez les nourrissons atteints de cholestase, (seuil de bilirubine conjuguée : 2 mg/dL).
Nous avons considéré différentes définitions de la MHANP (différents seuils de bilirubine conjuguée). Chez les nourrissons avec une affection chirurgicale et sans MHANP préexistante, une méta-analyse n'a montré aucune différence sur l'incidence de la MHANP/cholestase (toutes définitions confondues) avec l'utilisation d'émulsions lipidiques contenant de l'huile de poisson par rapport à EL-S (rapport de risque typique (RR) 1,20, intervalle de confiance (IC) à 95% 0,38-3,76 ; différence de risque typique (RD) 0,03, IC 95% -0,14 à 0,20 ; 2 études ; n = 68 ; preuve de faible qualité). Chez les nourrissons atteints de la MHANP/cholestase (n'importe quelle définition), l'utilisation d'émulsions lipidiques contenant de l'huile de poisson a conduit à une réduction de la prévalence des cas de cholestase (RR: 0,54, IC 95 % 0,32 à 0,91 ; RD: -0,39, IC 95 % -0,65 à -0,12 ; nombre de sujets à traiter (NST): 3, IC 95% 2 à 9 ; deux études ; n = 40 ; preuve de très faible qualité). Le très faible nombre de participants dans ces deux études, ainsi que des différences méthodologique entre ces études et l’arrêt précoce de l’une d’elles, accroissent l'incertitude sur les estimations des effets.
Une étude chez des nourrissons atteints de cholestase a fait état d'un gain de poids significativement plus élevé avec EL-P qu'avec EL-S 10% (45 g/semaine, IC 95 % 15,0 à 75,0 ; n = 16 ; preuve de très faible qualité). Il n'y avait pas de différences significatives dans les paramètres de croissance dans les études incluant des nourrissons avec des affections chirurgicales.
En ce qui concerne les critères de jugement secondaires, chez les nourrissons atteints de cholestase, une étude (n = 24) a signalé des taux de bilirubine conjuguée significativement plus faibles et des taux de gamma glutamyl transférase plus élevés avec EL-MOPS par rapport à EL-S. Une autre étude (n = 16), interrompue prématurément, a rapporté des élévations plus fréquentes des taux d'alanine aminotransférase et de bilirubine conjuguée avec EL-S qu'avec EL-P.
Chez les nourrissons avec une maladie nécessitant une intervention chirurgicale, un essai a montré un effet bénéfique de EL-P sur les taux de triglycérides et de bilirubine conjuguée, tandis qu’un autre essai n'a montré aucun effet sur ces taux. Aucune méta-analyse n'a été effectuée pour l'un ou l'autre de ces critères de jugement, car il n'y avait que deux études très hétérogènes avec des résultats contradictoires.
Il n'y avait pas de différence entre les risques de décès et de septicémie, et les taux de phosphatase alcaline et d'alanine aminotransférase chez les nourrissons atteints de maladies nécessitant une intervention chirurgicale ou de cholestase (preuve de très faible qualité).
Une étude a fait état de résultats neuro-développementaux à six et 24 mois chez des nourrissons atteints de problèmes chirurgicaux (n = 11), sans aucune différence entre l'utilisation de EL-P et EL-S. Une autre étude chez les nourrissons atteints de cholestase (n = 16) n'a révélé aucune différence entre l’utilisation de EL-P et de EL-S sur la vitesse de croissance de la tête.
La qualité des données probantes selon GRADE variait de faible à très faible, car les études incluses étaient de petites tailles et conduites dans un centre médical unique. Trois des six études qui ont fourni des données considérées dans cette revue ont été interrompues prématurément pour diverses raisons.
Post-édition effectuée par Barbara Delage et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr