Principaux messages
- L'acide tranexamique pourrait être un médicament efficace pour aider le sang à coaguler pendant une opération de remplacement de la hanche ou du genou, ce qui réduit les saignements et la nécessité d'une transfusion sanguine (remplacement du sang perdu par du sang donné).
- Une dose élevée de ce médicament et son administration sous plusieurs formes (par exemple, sous forme de comprimé et par injection dans l'articulation à la fin de l'intervention chirurgicale) semblent donner les meilleurs résultats.
- L'acide tranexamique est potentiellement aussi efficace lorsqu'il est administré sous forme de comprimé que lorsqu'il est injecté dans une veine.
- Il n'existe que peu ou pas de données probantes indiquant que des doses plus élevées d'acide tranexamique augmentent le risque de caillots sanguins dans la jambe ou d'autres risques.
Contexte
Pourquoi est-il important d'arrêter les saignements lors d'une opération de la hanche ou du genou ?
Le contrôle des saignements pendant l'opération réduit la probabilité que la personne développe une anémie et ait besoin d'une transfusion sanguine, ce qui comporte un risque de complications. L'anémie survient lorsque le nombre de globules rouges (hémoglobine) disponibles pour transporter l'oxygène est inférieur à la normale. Cela provoque des symptômes tels que fatigue, faiblesse, vertiges, essoufflement et, dans les cas les plus graves, peut mettre la vie en danger. La prévention des pertes de sang au cours des interventions chirurgicales améliore les critères de jugement des patients, réduit les coûts des soins de santé et préserve les réserves limitées de dons de sang.
Existe-t-il un médicament qui aide à contrôler les saignements ?
De nombreuses études ont cherché à savoir si certains médicaments, tels que l'acide tranexamique, pouvaient contribuer à minimiser les pertes de sang lors d'une intervention chirurgicale. La plupart des études testent différentes doses de médicaments, différentes méthodes d'administration et différents moments d'utilisation, soit avant, pendant ou après une opération.
Que voulions-nous savoir ?
Nous avons voulu savoir si les médicaments peuvent réduire les pertes de sang et le besoin de transfusions sanguines chez les personnes subissant une arthroplastie de la hanche ou du genou. Nous voulions également connaître la manière la plus efficace d'administrer ce médicament aux patients.
Comment avons-nous procédé ?
Nous avons recherché des études comparant différents médicaments susceptibles d'aider à réduire les saignements chez les adultes subissant une arthroplastie planifiée de la hanche ou du genou. Nous avons également recherché des études comparant les médicaments à un placebo. Un placebo est un médicament « factice » dont l'aspect ou le goût est identique à celui du médicament testé.
Qu’avons-nous trouvé ?
Nous avons trouvé 102 études. Douze études n'ont pas indiqué le nombre de participants inclus ; dans les 90 autres études, il y avait 8418 participants inclus. En moyenne, les personnes étaient âgées de 50 à 77 ans et 64 % étaient des femmes. La plus petite étude a porté sur 16 personnes et la plus grande sur 300. Les études ont été menées dans le monde entier, le plus grand nombre d'entre elles en Europe et en Asie. Parmi les études qui ont indiqué une source de financement, sept ont été entièrement financées et cinq partiellement financées par des entreprises pharmaceutiques (médicaments). Toutes les études ont porté sur des médicaments qui aidaient le sang à coaguler. Cependant, la plupart des études ont évalué l'efficacité et la tolérance de l'acide tranexamique administré par voie intraveineuse (injection dans une veine), par voie orale (ingestion d'un comprimé ou d'un liquide), par injection dans l'articulation au cours d'une intervention chirurgicale, ou par une combinaison de ces méthodes.
Principaux résultats
Notre revue des études a montré ce qui suit :
- L'acide tranexamique a été le plus efficace pour contrôler les saignements par rapport aux autres médicaments.
- Les adultes ayant subi une arthroplastie de la hanche ou du genou ont eu besoin de moins de transfusions sanguines s'ils ont reçu de l'acide tranexamique.
- L'acide tranexamique administré à des doses plus élevées en utilisant plusieurs méthodes d'administration, telles que la voie orale et l'injection dans l'articulation pendant l'opération, pourrait être plus susceptible de prévenir les saignements.
- La prise d'acide tranexamique par voie orale est probablement aussi efficace pour prévenir une transfusion sanguine que l'injection du médicament dans une veine.
Nous n'avons pas été en mesure de décider de la dose optimale, de la meilleure combinaison de méthodes pour administrer l'acide tranexamique et du moment où il est le plus bénéfique de l'utiliser (avant, pendant et après l'intervention chirurgicale). Nous n'avons pas trouvé de données probantes suggérant que des doses plus élevées d'acide tranexamique augmentent le risque de développer un caillot sanguin, ou tout autre risque.
Quelles sont les limites des données probantes ?
Nous ne sommes pas en mesure de tirer des conclusions définitives sur la base des essais inclus dans cette revue. Nous avons peu confiance dans les données probantes pour certains critères de jugement, et nous ne sommes pas confiants dans les données probantes pour d'autres. En effet, il est possible que les participants aux études aient su quel traitement ils recevaient. En outre, les études étaient de petite taille et ne fournissaient pas toutes des données sur les aspects qui nous intéressaient.
Études en cours et mises à jour futures
Trente études avec un total prévu de 3776 participants sont actuellement en cours. Ces études devraient être achevées et publiées dans les prochaines années. Une fois que les auteurs auront publié leurs données, nous pourrons mettre à jour nos analyses et fournir des réponses plus solides que nous ne pouvons le faire actuellement.
Ces données probantes sont-elles à jour ?
Les données probantes sont à jour jusqu'au 18 octobre 2022.
Nous avons constaté que de toutes les interventions étudiées, l’acide tranexamique (TXA) est probablement l'intervention la plus efficace pour prévenir les saignements chez les personnes subissant une arthroplastie de la hanche ou du genou. L'aprotinine et l'acide epsilon-aminocaproïque (EACA) pourraient ne pas être aussi efficaces que le TXA pour prévenir la nécessité d'une transfusion sanguine allogénique. Nous n'avons pas été en mesure de tirer des conclusions solides sur la dose optimale, la voie et le moment d'administration du TXA. Nous avons constaté que le TXA administré à des doses plus élevées avait tendance à se classer plus haut dans la hiérarchie des traitements, et nous avons également constaté qu'il pouvait être plus bénéfique d'utiliser une voie d'administration mixte (orale et intra-articulaire, orale et intraveineuse, ou intraveineuse et intra-articulaire). L'administration orale pourrait être aussi efficace que l'administration intraveineuse de TXA. Nous avons trouvé peu ou pas de données probantes sur les risques associés à des doses plus élevées d'acide tranexamique en ce qui concerne le risque de thrombose veineuse profonde (TVP). Cependant, nous ne sommes pas en mesure de tirer définitivement ces conclusions sur la base des essais inclus dans cette revue.
L'arthroplastie de la hanche et du genou est un moyen communément utilisé pour améliorer la qualité de vie, mais elle est associée à un risque significatif d'hémorragie. On estime qu'un tiers des personnes sont anémiques avant une opération de remplacement de la hanche ou du genou ; si l'on ajoute à cela la perte de sang pendant l'opération, jusqu'à 90 % des personnes sont anémiques après l'opération. Par conséquent, les personnes qui subissent une chirurgie orthopédique reçoivent 3,9 % de toutes les transfusions de concentrés de globules rouges au Royaume-Uni. Il a été démontré que les saignements et le besoin de transfusions sanguines allogéniques augmentent le risque d'infection du site chirurgical et la mortalité, et sont associés à une augmentation de la durée du séjour à l'hôpital et des coûts liés à la chirurgie.
La réduction des pertes de sang au cours d'une intervention chirurgicale pourrait diminuer le risque de transfusion sanguine allogénique, réduire les coûts et améliorer les critères de jugement après l'intervention. Plusieurs interventions pharmacologiques sont disponibles et actuellement employées dans le cadre des soins cliniques de routine.
Déterminer l'efficacité relative des interventions pharmacologiques pour prévenir les pertes de sang lors d'une arthroplastie primaire ou de révision élective de la hanche ou du genou, et identifier l'administration optimale des interventions en ce qui concerne le moment, la dose et la voie d'administration, en utilisant la méthodologie de la Méta-analyse en réseau (MAR).
Nous avons recherché dans les bases de données suivantes des essais contrôlés randomisés (ECR) et des revues systématiques, depuis leur création jusqu'au 18 octobre 2022 : CENTRAL (la Cochrane Library), MEDLINE (Ovid), Embase (Ovid), CINAHL (EBSCO host ), Transfusion Evidence Library (Evidentia), ClinicalTrials.gov et le Système d'enregistrement international des essais cliniques (ICTRP) de l’OMS.
Nous avons inclus des ECR portant uniquement sur des personnes subissant une chirurgie élective de la hanche ou du genou.
Nous avons exclu les procédures non électives ou d'urgence, et les études publiées depuis 2010 qui n'avaient pas été enregistrées de manière prospective (politique du groupe Cochrane sur les blessures). Aucune restriction n'a été imposée quant au sexe, à l'origine ethnique ou à l'âge (adultes uniquement). Nous avons exclu les études qui utilisaient les soins standards comme comparateur.
Les interventions éligibles étaient les suivantes : antifibrinolytiques (acide tranexamique (TXA), aprotinine, acide epsilon-aminocaproïque (EACA)), desmopressine, facteurs VIIa et XIII, fibrinogène, colles de fibrine et colles autres que de fibrine.
La revue a été réalisée selon la méthodologie standard de Cochrane. Deux auteurs ont évalué de façon indépendante l'éligibilité des essais et leur risque de biais, et ont extrait les données. Nous avons évalué le niveau de confiance des données probantes à l'aide de CINeMA. Nous avons présenté les résultats directs (par paires) à l'aide de RevMan Web et réalisé la MAR à l'aide de BUGSnet.
Nous nous sommes intéressés aux critères de jugement principaux suivants : nécessité d'une transfusion sanguine allogène (jusqu'à 30 jours) et mortalité toutes causes confondues (décès survenant jusqu'à 30 jours après l'opération), ainsi qu'aux critères de jugement secondaires suivants : nombre moyen d'épisodes de transfusion par personne (jusqu'à 30 jours), réopération pour cause de saignement (dans les sept jours), durée du séjour à l'hôpital et événements indésirables liés à l'intervention reçue.
Nous avons inclus un total de 102 études. Douze études n'ont pas rapporté le nombre de participants inclus ; les 90 autres études ont inclus 8418 participants. Les essais ont inclus plus de femmes (64 %) que d'hommes (36 %).
Dans la MAR pour la transfusion sanguine allogénique, nous avons inclus 47 études (4398 participants). La plupart des études ont porté sur le TXA (58 bras, 56 %). Nous avons constaté que le TXA, administré par voie intra-articulaire et par voie orale à une dose totale supérieure à 3 g avant l'incision, en peropératoire et en postopératoire, se classait en premier, avec un effet absolu anticipé de 147 transfusions sanguines en moins pour 1000 personnes (150 en moins à 104 en moins) (53 % de chances de se classer en premier) dans la MAR (risque relatif (RR) 0,02, intervalle de crédibilité (ICr) à 95 % 0 à 0,31 ; données probantes d’un niveau de confiance modéré). Viennent ensuite le TXA administré par voie orale à une dose totale de 3 g en pré-incision et en postopératoire (RR 0,06, ICr à 95 % 0,00 à 1,34 ; données probantes d’un niveau de confiance faible) et le TXA administré par voie intraveineuse et par voie orale à une dose totale de plus de 3 g en peropératoire et en postopératoire (RR 0,10,ICr à 95 % 0,02 à 0,55 ; données probantes d’un niveau de confiance faible).
L'aprotinine (RR 0,59, ICr à 95 % 0,36 à 0,96 ; données probantes d’un niveau de confiance faible), la fibrine topique (RR 0,86, ICr à 95 % 0,25 à 2,93 ; données probantes d’un niveau de confiance très faible) et l'EACA (RR 0,60, ICr à 95 % 0,29 à 1,27 ; données probantes d’un niveau de confiance très faible) ne se sont pas révélés aussi efficaces que le TXA pour réduire le risque de transfusion sanguine.
Nous n'avons pas pu réaliser de MAR pour notre critère de jugement principal, la mortalité toutes causes confondues dans les 30 jours suivant l'intervention chirurgicale, en raison du grand nombre d'études n'ayant enregistré aucun événement, ou car le résultat n'a pas été rapporté.
Dans la MAR pour la thrombose veineuse profonde (TVP), nous avons inclus 19 études (2395 participants). La plupart des études ont porté sur le TXA (27 bras, 64 %). Aucune étude n'a évalué la desmopressine, l'EACA ou la fibrine topique. Nous avons constaté que le TXA administré par voie intraveineuse et orale à une dose totale de plus de 3 g en peropératoire et en postopératoire était le mieux classé, avec un effet absolu anticipé de 67 TVP en moins pour 1000 personnes (67 de moins à 34 de plus) (26 % de chances de se classer premier) dans la MAR (RR 0,16, ICR à 95 % 0,02 à 1,43 ; données probantes d’un niveau de confiance faible). Viennent ensuite le TXA administré par voie intraveineuse et intra-articulaire à une dose totale de 2 g en pré-incision et en peropératoire (RR 0,21, ICr à 95 % 0,00 à 9,12 ; données probantes d’un niveau de confiance faible) et le TXA administré par voie intraveineuse et intra-articulaire, à une dose totale supérieure à 3 g en pré-incision, en peropératoire et en postopératoire (RR 0,13, ICr à 95 % 0,01 à 3,11 ; données probantes d’un niveau de confiance faible). L'aprotinine ne s'est pas révélée aussi efficace que le TXA (RR 0,67, ICr à 95 % 0,28 à 1,62 ; données probantes d’un niveau de confiance très faible).
Nous n'avons pas été en mesure de réaliser une MAR pour nos critères de jugement secondaires - embolie pulmonaire, infarctus du myocarde et AVC (accident vasculaire cérébral) dans les 30 jours, nombre moyen d'épisodes de transfusion par personne (jusqu'à 30 jours), réopération pour cause de saignement (dans les sept jours) ou durée du séjour à l'hôpital - en raison du grand nombre d'études ne rapportant aucun événement, ou car le critère n'était pas rapporté par un nombre suffisant d'études pour constituer un réseau.
Il existe 30 essais en cours qui prévoient de recruter 3776 participants, la majorité d'entre eux examinant le TXA (26 essais).
Post-édition effectuée par Inès Belalem et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr