Cette revue a analysé si les bêta-bloquants administrés en péri-opératoire d’une chirurgie cardiaque peuvent réduire le nombre de décès ou d'événements graves liés à cette chirugie.
Contexte
Les personnes qui doivent avoir une chirurgie cardiaque encourent un haut risque de complications et de décès. La chirurgie cardiaque augmente le niveau de stress corporel, provoquant la libération des hormones adrénaline et noradrénaline. Ce stress peut conduire à des événements sévères comme un décès, une crise cardiaque, un accident vasculaire cérébral ou des troubles du rythme cardiaque. Les bêta-bloquants sont des médicaments qui bloquent l'action de l'adrénaline et de la noradrénaline au niveau cardiaque. Les bêta-bloquants peuvent ralentir le fréquence cardiaque et diminuer la pression artérielle. Ces effets pourraient réduire le risque d'événements graves. Cependant, ils peuvent aussi entraîner une bradycardie ou une hypotension artérielle, et ces effets pourraient augmenter le risque de décès ou d'accident vasculaire cérébral. La prévention des complications autour de la période chirurgicale est une question de sécurité importante pour les patients qui bénéficient d’une chirurgie cardiaque.
Caractéristiques de l'étude
Les données probantes sont à jour au 28 juin 2019. Nous avons inclus 63 études portant sur 7 768 adultes qui ont reçu une chirurgie cardiaque, comprenant pontage aortocoronarien et chirurgie de remplacement valvulaire. La plupart des études étaient des études contrôlées randomisées et six étaient quasi-randomisées (les participants avaient été répartis selon des méthodes telles que l'utilisation des numéros de dossiers hospitaliers ou des dates de naissance). Les types de bêta-bloquants étaient les suivants : propranolol, métoprolol, sotalol, esmololol, landiolol, acébutolol, timolol, carvédilol, nadolol et atenolol. Ces bêta-bloquants ont été comparés soit à un placebo (comprimé ressemblant à un bêta-bloquant mais ne contenant pas de substance active), soit au traitement standard. Les bêta-bloquants étaient débutés avant l'intervention chirurgicale, pendant l'intervention ou au plus tard à la fin de la première journée suivant l'intervention. La durée d'administration des bêta-bloquants variait d'une étude à l'autre. Dans la plupart des études, au moins quelques patients prenaient déjà un traitement bêta-bloquants, ce à quoi on pourrait s'attendre chez les personnes atteintes de maladies nécessitant une chirurgie cardiaque.
Principaux résultats
Les bêta-bloquants n'ont probablement que peu ou pas d'effet sur le nombre de personnes qui décèdent (29 études, 4099 participants) ou qui présentent une crise cardiaque (25 études, 3946 participants) dans les 30 jours suivant la chirurgie. Ceci a été appuyée par des données probantes de faibles certitude. Peu d'études ont déclaré les personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral. Nous n’avons donc pas la certitude que les bêta-bloquants en réduisent le nombre car le niveau des données probantes est très faible (5 études, 1471 participants). Les bêta-bloquants peuvent réduire la fibrillation auriculaire, qui se traduit par un rythme cardiaque irrégulier, initié par les cavités auriculaires. Ceci augmente le risque d'accident vasculaire cérébral en absence de traitement (40 études, 5650 participants ; données probantes de fiable certitude). Les bêta-bloquants peuvent également réduire les arythmies ventriculaires, qui sont des rythmes cardiaques irréguliers provenant des ventricules, potentiellement mortels, et qui peuvent nécessiter un traitement médical urgent (12 études, 2296 participants). Nous avons constaté que les bêta-bloquants n’ont que peu ou pas de différence sur la survenue d’une bradycardie ou d’une hypotension artérielle.
Nous ne savons pas si les bêta-bloquants ont une incidence sur le nombre de décès à un an de la chirurgie (3 études, 511 participants), sur le nombre de décès de cause cardiaque (4 études, 320 participants) ou sur le nombre de patients atteints d'insuffisance cardiaque (3 études, 311 participants). Le certitude de données probantes était très faible. Les personnes ayant pris des bêta-bloquants ont eu une durée d’hospitalisation plus courte (environ une demi-journée d'hospitalisation) (14 études, 2 450 participants ; données probantes de faible certitude).
Aucune étude n'a évalué si les personnes sous bêta-bloquants avaient une meilleure qualité de vie après une chirurgie cardiaque.
Certitude de données probantes
Le degré de certitude des données probantes recueillis dans le cadre de cette revue était généralement faible. Nous avons constaté que de nombreuses études ont fait état de méthodes qui, à notre avis, pourraient influencer les résultats. Par exemple, de nombreuses études n'ont pas utilisé de placebo et les médecins auraient pu, par conséquent, traiter les gens différemment dans chaque groupe. Nous n'avons pas été en mesure d'expliquer certaines des différences que nous avons relevées dans les données sur la fibrillation auriculaire. Nous avons également besoin de données probantes provenant d'un plus grand nombre de participants pour être confiants dans nos constatations.
Conclusion
Les bêta-bloquants peuvent bénéficier à des personnes qui doivent passer par une chirurgie cardiaque car ils peuvent réduire l’incidence des fibrillations auriculaires et d'arythmies ventriculaires. Les bêta-bloquants n’ont peut être que peu ou pas d'effet sur les autres critères de jugement étudiés de cette revue, y compris la mort, les crises cardiaques ou les accidents vasculaires cérébraux.
Nous n'avons trouvé aucune données probantes d'une différence dans la mortalité précoce toutes causes confondues, l'infarctus du myocarde, les événements cérébrovasculaires, l'hypotension et la bradycardie. Cependant, il peut y avoir une réduction de la fibrillation auriculaire et des arythmies ventriculaires lorsque les bêta-bloquants sont utilisés. Un échantillon de plus grande taille est susceptible d'accroître la certitude de ces niveaux de données probantes. Quatre études en attente de classification pourraient modifier les conclusions de cette revue.
Des essais contrôlés randomisés (RCTs) ont donné des résultats contradictoires quant à la capacité des bêta-bloquants d'influencer la morbidité et la mortalité péri-opératoire cardiovasculaire. La prescription systématique de ces médicaments chez des patients tout-venant reste donc sujette à controverse. Une version antérieure de cette revue évaluant l'efficacité des bêta-bloquants en péri-opératoire d’une chirurgie cardiaque ou non cardiaque avait été publiée en 2018. Cette revue précédente a maintenant été divisé en deux revues différentes selon le type de chirurgie. Cette mise à jour n’évalue que les données probantes en chirurgie cardiaque.
Évaluer l'efficacité chez de adultes, des bêta-bloquants administrés en péri-opératoire d’une chirurgie cardiaque, sur la prévention de la mortalité et de la morbidité chirurgicale.
Nous avons effectué la recherche dans CENTRAL, MEDLINE, Embase, CINAHL, Biosis Previews and Conference Proceedings Citation Index-Science jusqu’au 28 juin 2019. Nous avons aussi fait des recherches dans les registres d'essais cliniques et dans la littérature grise, et nous avons effectué des recherches d’articles pertinents par les méthodes de backward et forward- citation.
Nous avons inclus des RCTs et des études quasi-randomisées comparant des bêta-bloquants à un contrôle (placebo ou soins standard) administrés à des adultes pendant la période péri-opératoire d’une chirurgie cardiaque. Nous avons exclu les études dans lesquelles soit des participants du groupe témoin avaient reçu un agent pharmacologique n’ayant pas été administré aux participants du groupe d'intervention, soit des participants du groupe témoin avaient reçu un bêta-bloquant, soit que les bêta-bloquants avaient été associés à un agent additionnel (par exemple, du magnésium). Nous avons exclu les études qui ne mesuraient pas ou ne rapportait pas les critères de jugement recherchés par cette revue.
Deux auteurs de cette revue ont évalué de façon indépendante les études à inclure, extrait les données et évalué les risques de biais. Nous avons évalué le niveau de données probantes avec le score GRADE.
Nous avons inclus 63 études auxquelles ont participé 7 768 patients. Six études étaient quasi-randomisées et les études restantes des RCTs. Tous les participants avaient eu une chirurgie cardiaque. Dans la plupart des études, au moins certains d'entre eux prenaient des bêta-bloquants avant la chirurgie. Les types de bêta-bloquants étaient les suivants : propranolol, métoprolol, sotalol, esmololol, landiolol, acébutolol, timolol, carvédilol, nadolol et atenolol. Dans douze études, les bêta-bloquants ont été titrés selon la fréquence cardiaque ou la tension artérielle. La durée de l'administration variait d'une étude à l'autre, tout comme la période à laquelle les médicaments ont été administrés. Dans neuf études,les bêta-bloquants ont débuté avant la chirurgie, dans 20 études pendant la chirurgie et dans les autres études, les bêta-bloquants ont débuté après la chirurgie. Dans l'ensemble, nous avons constaté que la plupart des études n'étaient pas suffisamment détaillées pour nous permettre d'évaluer adéquatement le risque de biais. En particulier, peu d'études ont fait état des méthodes utilisées pour randomiser les participants. Dans certaines études, les participants du groupe témoin ont reçu des bêta-bloquants comme traitement de secours pendant la période de l'étude. De même, toutes les études dans lesquelles le contrôle était un soin standard présentaient un risque élevé de biais de performance en raison d’une conception de l’étude sans aveugle (open-label). Aucune étude n'a été enregistrée prospectivement dans les registres d'essais cliniques, ce qui a limité l'évaluation du biais de déclaration. Nous avons jugé que 68 % des études présentaient un risque élevé de biais dans au moins un domaine.
Les auteurs des études n’ont signalé que peu de décès (7 pour 1 000 dans les groupes intervention et témoin). Nous avons trouvé que les bêta-bloquants ne font peut-être que peu ou pas de différence dans la mortalité toutes causes confondues à 30 jours (ratio de risque (RR) 0,95, intervalle de confiance (IC) à 95 %: 0,47 à 1,90 ; 29 études, 4099 participants) avec des données probantes de faible certitude. Pour les infarctus du myocarde, nous n'avons trouvé aucune différence dans la survenue des événements (RR 1,05, IC à 95 %: 0,72 à 1,52 ; 25 études, 3 946 participants ; données probantes de faible certitude). Peu d'auteurs d'études ont signalé des événements vasculaires cérébraux, et les données probantes étaient incertaines (RR 1,37, IC à 95 % : 0,51 à 3,67 ; 5 études, 1471 participants ; données probantes de très faible certitude). Sur la base d'un contrôle du risque de 54 pour 1000, nous avons trouvé que les bêta-bloquants peuvent réduire les épisodes d'arythmies ventriculaires de 32 épisodes pour 1000 avec des données probantes de faible certitude (RR 0,40, IC à 95 % : 0,25 à 0,63 ; 12 études, 2 296 participants). Dans le cas de la fibrillation auriculaire ou du flutter, il y a peut-être une incidence diminuée de 163 cas avec les bêta-bloquants, selon un contrôle du risque de 327 cas pour 1000 (RR 0,50, IC à 95 % : 0,42 à 0,59 ; 40 études, 5650 participants ; données probantes de faible certitude). Néanmoins avec la bradycardie et l'hypotension, les données probantes étaient encore moins certaines. Nous avons constaté que les bêta-bloquants ne peuvent avoir que peu ou pas de différence sur la bradycardie (RR 1,63, IC à 95 % : 0,92 à 2,91 ; 12 études, 1 640 participants ; données probantes de faible certitude) ou sur l'hypotension (RR 1,84, IC à 95 % : 0,89 à 3,80 ; 10 études, 1 538 participants ; données probantes de faible certitude).
Nous avons utilisé le score GRADE pour qualifier le niveau de certitude des données probantes. En raison du risque élevé de biais dans au moins un domaine, nous avons rétrogradé chaque critère de jugement en fonction des limites des études. D'après les calculs d’effectifs de la précédente revue, nous avons constaté un nombre insuffisant de participants pour tous les critères de jugement(à l'exception de la fibrillation auriculaire). Pour certains critères de jugement, nous avons aussi noté un intervalle de confiance étendu. Par conséquent, nous avons également rétrogradé ces critères de jugement en raison des imprécisions. Les données probantes sur la fibrillation auriculaire et la durée du séjour à l'hôpital présentaient un niveau modéré d'hétérogénéité statistique que nous ne pouvions expliquer, et nous avons donc rétrogradé ces critères de jugement en raison de leur incohérence.
Post-édition effectuée par Pauline Dureau et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr