Quelle est la précision de l'intelligence artificielle pour diagnostiquer le kératocône ?

Principaux messages

- Les études incluses suggèrent que l'intelligence artificielle (IA) peut identifier le kératocône. Cela pourrait conduire à une détection précoce et à la prévention de la perte de vision.
- Les estimations sont similaires pour les différents types d'algorithmes d'IA.
- Nous avons peu confiance dans les données probantes ; il est nécessaire de poursuivre les recherches sur ce sujet.

Qu'est-ce que le kératocône et pourquoi un diagnostic (précoce) est-il si important ?

Le kératocône est une maladie de la cornée (la fenêtre transparente à l'avant de l'œil) qui touche les personnes âgées de 10 à 40 ans. Chez les personnes concernées, la cornée s'affaiblit et s'amincit au fil des ans, se bombant progressivement pour prendre la forme typique d'un cône, ce qui entraîne une baisse de la vision. Les lunettes peuvent résoudre ce problème dans les premiers stades du kératocône, mais n'offrent plus de solution satisfaisante lorsque la maladie s'aggrave. Un diagnostic précoce est impératif pour assurer le suivi et le traitement et ainsi prévenir la perte de vision.

Le diagnostic du kératocône repose sur un examen ophtalmologique (mesure de l'œil et évaluation de la cornée à l'aide d'un faisceau lumineux vertical et d'un microscope) et sur l'imagerie (techniques assistées par ordinateur qui créent des images ou des cartes tridimensionnelles de la cornée). L'interprétation des images peut s'avérer difficile, en particulier dans les centres de soins ophtalmologiques primaires et aux premiers stades de la maladie. Ne pas reconnaître le kératocône peut entraîner une aggravation de la maladie et une détérioration de la vision. Par exemple, les personnes à risque de développer un kératocône qui subissent une chirurgie réfractive (chirurgie visant à corriger leur vision) pourraient se retrouver avec une vision plus mauvaise.

Qu'est-ce que l'intelligence artificielle et comment peut-elle aider à détecter le kératocône ?

La détection du kératocône à partir d'images est un défi, en particulier pour les cliniciens non formés. L'IA donne aux machines la capacité de s'adapter, de raisonner et de trouver des solutions. Des algorithmes peuvent être développés et entraînés pour analyser les images de la cornée et reconnaître le kératocône. Ces tests pourraient aider les ophtalmologistes, les optométristes et d'autres professionnels des soins oculaires à poser un diagnostic et à référer les personnes atteintes de kératocône vers des spécialistes de la cornée à temps pour préserver leur vision. Il existe de nombreux types d'algorithmes, mais tous distinguent les yeux sains des kératocônes sur la base d'images de la cornée.

Que voulions-nous découvrir ?

L'objectif de la revue était de savoir si l'IA peut diagnostiquer correctement le kératocône chez les personnes souhaitant bénéficier d'une chirurgie réfractive et chez les personnes dont la vision ne peut plus être corrigée entièrement par des lunettes.

Comment avons-nous procédé ?

Nous avons recherché des études portant sur la précision de l'IA pour diagnostiquer le kératocône, de préférence chez des personnes souhaitant bénéficier d'une chirurgie réfractive ou chez des personnes dont la vision ne peut plus être entièrement corrigée par des lunettes. Nous avons comparé et résumé les résultats des études pour calculer deux mesures de précision : la sensibilité (la capacité de l'IA à identifier correctement le kératocône) et la spécificité (la capacité de l'IA à exclure correctement le kératocône). Plus la sensibilité et la spécificité sont proches de 100 %, meilleur est l'algorithme.

Qu’avons-nous trouvé ?

Nous avons trouvé 63 études qui ont utilisé trois unités différentes (yeux, participants et images) pour analyser la précision de l'IA dans la détection du kératocône : 44 études ont analysé 23 771 yeux, quatre études ont analysé 3843 participants et 15 études ont analysé 38 832 images.

La précision de l'IA pour la détection du kératocône manifeste (kératocône pouvant être détecté par un examen clinique) était élevée. Si 1000 personnes étaient testées, 30 personnes atteintes de kératocône seraient correctement orientées vers un spécialiste de la cornée, et aucune ne serait oubliée. Sur les 970 personnes restantes (sans kératocône), seules 17 seraient référées à tort. Ces personnes recevraient des tests non invasifs supplémentaires pour vérifier si elles sont atteintes de kératocône.

La précision de l'IA pour la détection du kératocône précoce était plus faible. Si 1000 personnes étaient testées, neuf personnes atteintes de kératocône seraient correctement orientées vers un spécialiste de la cornée et une ne le serait pas. Si cette personne bénéficiait d'une chirurgie réfractive, cela aggraverait la maladie et détériorerait sa vision. Sur les 990 personnes restantes (sans kératocône), 941 seraient rassurées sur le fait qu'elles n'ont pas la maladie et recevraient une chirurgie réfractive ou des lunettes ; 49 personnes seraient orientées à tort.

Les données probantes suggèrent que l'IA pourrait être efficace pour détecter le kératocône manifeste, mais qu'elle n'est pas idéale pour le dépistage du kératocône précoce.

Quelles sont les limites des données probantes ?

Nous avons peu confiance dans les données probantes concernant la précision de l'IA pour la détection du kératocône manifeste, et nous avons peu ou pas confiance dans les données probantes relatives au kératocône précoce. Il y a eu des problèmes dans la manière dont les études ont été menées, ce qui pourrait faire paraître l'IA plus précise qu'elle ne l'est en réalité.

Ces données probantes sont-elles à jour ?

Les données probantes sont à jour jusqu'au 29 novembre 2022.

Conclusions des auteurs: 

L’intelligence artificielle semble être un outil de triage prometteur dans la pratique ophtalmologique pour le diagnostic du kératocône. La précision du test était très élevée pour le kératocône manifeste et légèrement inférieure pour le kératocône subclinique, ce qui indique un risque plus élevé de ne pas diagnostiquer le kératocône chez les personnes ne présentant pas de signes cliniques. Cela pourrait conduire à une progression du kératocône ou à une indication erronée de chirurgie réfractive, ce qui aggraverait la maladie.

Nous ne sommes pas en mesure de tirer des conclusions claires et fiables en raison du risque de biais élevé, de l'hétérogénéité inexpliquée des résultats et des problèmes d'applicabilité élevés, qui ont tous réduit le niveau de confiance des données probantes.

Une plus grande normalisation dans les recherches futures permettrait d'accroître la qualité des études et d'améliorer la comparabilité entre les études.

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Contexte: 

Le kératocône reste difficile à diagnostiquer, surtout dans les premiers stades. Il s'agit d'une affection progressive de la cornée qui se manifeste dès le plus jeune âge. Le diagnostic repose sur l'examen clinique et l'imagerie de la cornée ; toutefois, dans les premiers stades, en l'absence de signes cliniques, le diagnostic dépend de l'interprétation de l'imagerie de la cornée (par exemple, topographie et tomographie) par des spécialistes qualifiés de la cornée. L'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) pour analyser les images de la cornée et détecter les cas de kératocône pourrait aider à prévenir la perte d'acuité visuelle et même la transplantation de cornée. Cependant, un diagnostic manqué chez les personnes souhaitant bénéficier d'une chirurgie réfractive peut entraîner un affaiblissement de la cornée et une ectasie de type kératocône. Il est nécessaire de disposer d'une synthèse fiable de la précision de l'IA pour la détection du kératocône et de l'applicabilité de cette méthode automatisée dans le contexte clinique.

Objectifs: 

Évaluer la précision diagnostique des algorithmes d'intelligence artificielle (IA) pour détecter le kératocône chez les personnes présentant des erreurs de réfraction, en particulier celles dont la vision ne peut plus être entièrement corrigée par des lunettes, celles qui souhaitent bénéficier d'une chirurgie réfractive de la cornée et celles qui sont soupçonnées d'être atteintes de kératocône. L'IA pourrait aider les ophtalmologistes, les optométristes et d'autres professionnels des soins oculaires à prendre des décisions concernant l'orientation vers des spécialistes de la cornée.

Objectifs secondaires

Évaluer les causes potentielles suivantes de l'hétérogénéité des performances diagnostiques d'une étude à l'autre.

- Différents algorithmes d'IA (par exemple, réseaux neuronaux, arbres de décision, machines à vecteurs de support).
- Méthodologie du test index (techniques de prétraitement, méthode AI de base et techniques de post-traitement)
- Sources d'entrée pour la formation des algorithmes (images de topographie et de tomographie provenant du système de disque de Placido, du système Scheimpflug, du système à balayage de fente ou de la tomographie par cohérence optique (TCO) ; nombre de cas/images d’entraînement et de test; variable d'étiquette/critère d’évaluation utilisés pour l’entraînement)
- Contexte de l'étude
- Plan d'étude
- L'ethnicité ou la zone géographique comme variable
- Différents critères de positivité du test index fournis par l'appareil de topographie ou de tomographie
- Standard de référence, topographie ou tomographie, un ou deux spécialistes de la cornée
- Définition du kératocône
- Âge moyen des participants
- Recrutement des participants
- Gravité du kératocône (cliniquement manifeste ou subclinique)

Stratégie de recherche documentaire: 

Nous avons effectué des recherches dans CENTRAL (contenant le registre d’essais du groupe Cochrane sur l’ophtalmologie), Ovid MEDLINE, Ovid Embase, OpenGrey, le registre ISRCTN, ClinicalTrials.gov et le système d'enregistrement international des essais cliniques (ICTRP) de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS ). Aucune restriction concernant la langue ou la date n'a été appliquée aux recherches électroniques d'essais. Les dernières recherches dans les bases de données électroniques ont été effectuées le 29 novembre 2022.

Critères de sélection: 

Nous avons inclus des études cas-témoins transversales et diagnostiques qui ont étudié l'IA pour le diagnostic du kératocône en utilisant la topographie, la tomographie ou les deux. Nous avons inclus les études qui diagnostiquaient un kératocône manifeste, un kératocône subclinique ou les deux. Le standard de référence était l'interprétation des images de topographie ou de tomographie par au moins deux spécialistes de la cornée.

Recueil et analyse des données: 

Deux auteurs de la revue ont indépendamment extrait les données des études et évalué la qualité des revues à l'aide de l'outil QUADAS-2 (Quality Assessment of Diagnostic Accuracy Studies). Lorsqu'un article contenait plusieurs algorithmes d'IA, nous avons sélectionné l'algorithme ayant l'indice de Youden le plus élevé. Nous avons évalué le niveau de confiance des données probantes à l'aide de la méthode GRADE.

Résultats principaux: 

Nous avons inclus 63 études, publiées entre 1994 et 2022, qui ont développé et étudié la précision de l'IA pour le diagnostic du kératocône. Les études comportaient trois unités d'analyse différentes : les yeux, les participants et les images. Quarante-quatre études ont analysé 23 771 yeux, quatre études ont analysé 3843 participants et 15 études ont analysé 38 832 images.

Cinquante-quatre articles ont évalué la détection du kératocône manifeste, défini comme une cornée présentant un signe clinique de kératocône. La précision de l'IA semble presque parfaite, avec une sensibilité combinée de 98,6 % (intervalle de confiance (IC) à 95 % de 97,6 % à 99,1 %) et une spécificité combinée de 98,3 % (IC à 95 % de 97,4 % à 98,9 %). Toutefois, la précision variait d'une étude à l'autre et le niveau de confiance des données probantes était faible.

Vingt-huit articles ont évalué la détection du kératocône subclinique, bien que la définition de subclinique ait varié. Nous avons regroupé les kératocônes subcliniques, la forme fruste et les yeux très asymétriques. Les tests ont montré une bonne précision, avec une sensibilité combinée de 90,0 % (IC à 95 % de 84,5 % à 93,8 %) et une spécificité combinée de 95,5 % (IC à 95 % de 91,9 % à 97,5 %). Cependant, le niveau de confiance des données probantes était très faible pour la sensibilité et faible pour la spécificité.

Dans les deux groupes, nous avons classé la plupart des études comme présentant un risque de biais élevé, avec des problèmes d'applicabilité importants, dans le domaine de la sélection des patients, car la plupart étaient des études cas-témoins. En outre, nous avons classé le niveau de confiance des données probantes de faible à très faible en raison du biais de sélection, de l'incohérence et de l'imprécision.

Nous n'avons pas pu expliquer l'hétérogénéité entre les études. Les analyses de sensibilité basées sur le plan d'étude, l'algorithme d'IA, la technique d'imagerie (topographie par rapport à tomographie) et la source de données (paramètres par rapport à images) n'ont montré aucune différence dans les résultats.

Notes de traduction: 

Post-édition effectuée par Yveline Gourdet et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr

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Les traductions sur ce site ont été rendues possibles grâce à la contribution financière du Ministère français des affaires sociales et de la santé et des instituts publics de recherche canadiens.