Un certain degré d'insuffisance rénale affecte environ 15 % à 25 % de la population, c'est une maladie silencieuse évoluant à bas bruit, les symptômes et les signes apparents ne se manifestant que très tardivement. Lorsque l'insuffisance rénale devient terminale, un traitement de suppléance, comme la dialyse ou la transplantation, est la seule option disponible pour le patient. Cette forme de traitement est très coûteuse et extrêmement intrusive dans la vie des patients. Les mesures pour prévenir la progression vers cette phase terminale sont d'une grande importance afin d'empêcher cette catastrophe.
Nos analyses de 40 études portant sur des personnes atteintes de maladie rénale chronique montre que les patients adressés plus précocement à un médecin spécialiste du rein vivaient plus longtemps. Les taux de mortalité ont été environ moitié moindres chez les patients adressés précocement que chez les patients adressés tardivement et ces bénéfices étaient observés dès trois mois et ont duré au moins cinq ans. Les patients orientés précocement ont également passé moins de temps à l'hôpital et ont été mieux préparés à la dialyse. Une dialyse nécessite au préalable la mise en place chirurgicale d'une fistule et le recours précoce aux services spécialisés signifie souvent une meilleure préparation, un risque inférieur d'infection et d'autres complications.
Nous n'avons pas trouvé d'effets indésirables d'un recours précoce au spécialiste. Les essais contrôlés randomisés fournissent les informations les plus fiables de tous les plans d'étude, de sorte qu'il convient de noter que toutes les 40 études analysées pour cette revue utilisaient un plan d'étude de cohorte. Les études de cohorte viennent ensuite pour le niveau des preuves et ce sont les seules preuves disponibles. Pour des raisons éthiques, il est improbable qu'un essai contrôlé randomisé assignant des patients à une orientation spécialisée tardive puisse un jour être réalisé.
Notre analyse a montré une réduction de la mortalité et de l'hospitalisation, une meilleure utilisation des services de dialyse péritonéale et une mise en place plus précoce d'une fistule artério-veineuses pour les patients atteints d'une insuffisance rénale chronique adressés précocement à un néphrologue. Les différences dans la mortalité et l'hospitalisation entre les deux groupes n'étaient pas expliquées par des différences dans la prévalence des comorbidités ou du phosphate sérique. L'orientation précoce a été associée à une meilleure préparation et mise en place d'un accès en vue de la dialyse.
L'orientation précoce des patients atteints d'une insuffisance rénale chronique (IRC) est supposée faciliter les interventions visant les facteurs de risque afin de ralentir la vitesse de progression de l'insuffisance rénale vers l'insuffisance rénale terminale (IRT) et réduire la nécessité d'une dialyse, l'hospitalisation et la mortalité.
Nous avons cherché à évaluer les bénéfices (réduction de l'hospitalisation et de la mortalité; amélioration de la qualité de vie) et les inconvénients (augmentation des hospitalisations et de la mortalité, dégradation de la qualité de vie) de l'orientation précoce versus tardive vers des services spécialisés en néphrologie chez des patients atteints d'une IRC progressant vers l'IRT et un traitement de suppléance rénale (TSR). Dans cette revue, le recours est défini comme l'intervalle de temps séparant la première évaluation en néphrologie et le début de la dialyse; quand l'intervalle est de 1 à 6 mois, il est défini comme un recours tardif, quand il est supérieur, comme un recours précoce. La mortalité, toutes causes, et l'hospitalisation ont été évaluées. La qualité de vie a été mesurée par l'échelle visuelle analogique et la SF-36. La SF-36 et la KDQoL sont des instruments de mesure validés dans l'insuffisance rénale.
Nous avons effectué des recherches dans le registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL) (Bibliothèque Cochrane, 2012, numéro 1) qui contient le registre spécialisé du Cochrane Renal Group, MEDLINE (de 1966 à février 2012), EMBASE (de 1980 à février 2012). Les termes de recherche ont été approuvés par le Trial Search Co-ordinator.
Les essais contrôlés randomisés (ECR), les quasis ECR, les études prospectives et rétrospectives de cohortes longitudinales, ont été éligibles pour l'inclusion.
Deux auteurs ont indépendamment évalué la qualité des études et extrait les données. Les événements relatifs aux effets indésirables ont été recueillis dans les études.
Aucun ECR ou quasi-ECR n'a été identifié. Il y avait 40 études de cohorte longitudinale fournissant des données sur 63 887 participants; 43 209 (68 %) qui ont été orientés précocement et 20 678 (32 %) orientés tardivement.
La mortalité comparative était plus élevée chez les patients orientés tardivement vers des services spécialisés que chez les patients orientés précocement. Le risques relatif (RR) en faveur d'une réduction de la mortalité chez les patients orientés précocement était évident à trois mois (RR 0,61, IC à 95 % 0,55 à 0,67; I² = 84 %) et le restait à cinq ans (RR de 0,66, IC à 95 % 0,60 à 0,71; I² = 87 %). L'hospitalisation initiale était plus courte de 9,12 jours avec l'orientation précoce (IC à 95 % -10,92 à -7,32 jours; I² = 82 %) par rapport à l'orientation tardive. L'analyse groupée a montré que les patients orientés précocement étaient plus susceptibles que les patients orientés tardivement de bénéficier de l’instauration d’un TSR par dialyse péritonéale (RR 1,74, IC à 95 % 1,64 à 1,84; I² = 92 %).
Les patients orientés précocement étaient moins susceptibles de recevoir un accès vasculaire temporaire (RR 0,47, NC à 95 % 0,45 à 0,50; I ² = 97 %) que ceux adressés tardivement. Les patients orientés précocement étaient plus susceptibles de recevoir un accès vasculaire permanent (RR 3,22, IC à 95 % 2,92 à 3,55; I² = 97 %). La pression artérielle (PA) systolique était significativement plus basse dans l'orientation précoce versus tardive des patients (DM de -3,09 mm Hg, IC à 95 % -5,23 à -0,95; I² = 85 %); la PA diastolique était significativement plus basse dans l'orientation précoce versus tardive des patients (DM de -1,64 mm Hg, IC à 95 % -2,77 à -0,51; I² = 82 %). L'utilisation d'EPO était significativement plus élevée chez ceux orientés précocement (RR 2,92, IC à 95 % 2,42 à 3,52; I² = 0 %). L'estimation du débit de filtration glomérulaire (eDFG) était plus élevée chez ceux orientés précocement (DM de 0,42 mL/ min/1,73 m², IC à 95 % 0,28 à 0,56; I² = 95 %). La prévalence du diabète était similaire chez les patients orientés précocement et tardivement (RR 1,05, IC à 95 % 0,96 à 1,15; I² = 87 %), comme celle d'une cardiopathie ischémique (RR 1,05, IC à 95 % 0,97 à 1,13; I² = 74 %), d'une maladie vasculaire périphérique (RR 0,99, IC à 95 % 0,84 à 1,17; I² = 90 %), et d'une insuffisance cardiaque congestive (RR 1,00, IC à 95 % 0,86 à 1,15; I² = 92 %). L'incapacité à marcher était moins présente quand l'orientation était précoce (RR 0,66, IC à 95 % 0,51 à 0,86). La prévalence de la maladie pulmonaire obstructive chronique était similaire chez les patients orientés précocement et tardivement (RR 0,89, IC à 95 % 0,70 à 1,14; I² = 94 %), tout comme pour les maladies cérébrovasculaires (RR 0,90, IC à 95 % 0,74 à 1,11; I² = 83 %).
La qualité des études incluses a été évaluée comme étant faible à moyenne sur la base de l'échelle Newcastle-Ottawa. De légères différences dans la définition de l'orientation précoce versus tardive amènent un certain risque de biais. Généralement, l'hétérogénéité, dans la plupart des analyses, était élevée.