Question de la revue
L'incidence de la thrombocytopénie induite par l'héparine est-elle plus faible chez les personnes ayant subi une opération chirurgicale et recevant une thromboprophylaxie par héparine de bas poids moléculaire en comparaison avec les personnes recevant de l'héparine non fractionnée ?
Contexte
L'héparine est un agent naturel utilisé pour prévenir la formation de caillots dans les vaisseaux. Deux types d'héparines sont couramment utilisés, l'héparine non fractionnée (HNF) et l'héparine de bas poids moléculaire (HBPM). La thrombocytopénie induite par l'héparine (TIH) est une réaction indésirable pouvant survenir au cours du traitement par héparine. Elle est fréquente et sa conséquence la plus importante est une augmentation paradoxale du risque de complications liées à des caillots de sang coagulé (des thromboembolies). Un certain nombre de facteurs semblent influencer sa fréquence, notamment le type d'héparine et le type de patient ; les patients ayant subi une opération chirurgicale ont un risque plus élevé. Nous avons comparé le risque de TIH chez les personnes ayant subi une intervention chirurgicale et ayant été exposées à de l'HNF ou à de l'HBPM. Une meilleure compréhension de ce problème permettra une prise en charge plus sûre des personnes ayant subi une opération chirurgicale et nécessitant une thromboprophylaxie par héparine.
Principales caractéristiques et résultats
Les preuves de bonne qualité issues d'essais contrôlés randomisés (ECR) et portant sur la TIH sont rares. Seuls trois ECR avec un total de 1398 participants étaient éligibles pour inclusion dans cette revue (à jour jusqu'à mai 2016). Les personnes traitées à l'HBPM suite à une opération avaient un plus faible risque de TIH que celles recevant de l'HNF (risque relatif (RR) 0,23, intervalle de confiance à 95 % (IC) 0,07 à 0,73) ; preuves de faible qualité. L'incidence de la TIH compliquée par des caillots était significativement plus faible chez les participants recevant de l'HBPM par rapport à de l'HNF (RR 0,22, IC à 95 % 0,06 à 0,84) ; preuves de faible qualité. Deux cas de TIH seraient évités si 100 personnes étaient traitées avec de l'HBPM au lieu de l'HNF. Une TIH compliquée par des caillots serait évitée si 75 personnes étaient traitées avec de l'HBPM. Le risque de TIH était systématiquement réduit chez les personnes subissant une intervention chirurgicale majeure exposés à de l'HBPM ou de l'HNF (RR 0,22, IC à 95 % 0,06 à 0,75) ; preuves de faible qualité. Bien que des preuves limitées soient disponibles, il semble que la TIH induite par les deux types d'héparine est courante chez les personnes subissant des procédures chirurgicales majeures (incidence supérieure à 1 % et inférieure à 10 %).
Ces résultats systématiques soutiennent les recommandations cliniques concernant la surveillance de la quantité de plaquettes dans le sang pour la TIH.
Qualité des preuves
Les preuves recueillies dans cette revue ont été considérées comme étant de faible qualité. Nous avons rabaissé la qualité des preuves car nous avions des inquiétudes concernant le risque de biais dans les études incluses et l'imprécision des résultats. Il était possible que le pronostic du patient ou les préférences des cliniciens aient influencé le traitement offert. Cette étape devrait préférablement dépendre du hasard afin de permettre une comparaison équitable entre les traitements. Nous ne sommes pas sûrs que le personnel ayant réalisé les essais n'était pas informé du traitement que les participants recevaient, et il était possible qu'un rapport incomplet des données ait pu affecter les estimations. La détection de la TIH dans les essais était également problématique, et nous ne sommes pas sûrs qu'elle ait été réalisée de manière adéquate. Les résultats pourraient être corrects, mais il est également possible qu'ils soient modifiés par de futures recherches.
Cette revue mise à jour a mis en évidence des preuves de faible qualité indiquant une réduction de l'incidence de la TIH et de la TIH compliquée par une thromboembolie veineuse, chez les patients postopératoires subissant une thromboprophylaxie par HBPM par rapport à de l'HNF. De même, le risque de TIH chez les personnes subissant une intervention chirurgicale majeure était plus faible lorsqu'elles étaient traitées avec de l'HBPM par rapport à de l'HNF (preuves de faible qualité). La qualité des preuves a été rabaissée en raison d'inquiétudes concernant le risque de biais dans les études incluses et de l'imprécision des résultats des études. Ces résultats pourraient appuyer l'utilisation clinique actuelle en faveur de l'HBPM par rapport à l'HNF comme héparinothérapie. Cependant, nos conclusions sont limitées et il y avait un manque inattendu d'ECR incluant la TIH comme critère de jugement. Pour faire face à la rareté globale des informations cliniquement pertinentes concernant la TIH, la TIH doit être incluse comme critère de jugement majeur dans les futurs ECR portant sur l'héparine.
La thrombocytopénie induite par l'héparine (TIH) est une réaction indésirable à un médicament qui se présente comme un trouble thrombotique lié à une activation des plaquettes par des anticorps. Il s'agit d'une réaction immunitaire paradoxale entraînant la génération de thrombine in vivo, ce qui conduit à un état d'hypercoagulabilité pouvant induire une thrombose veineuse ou artérielle. Un certain nombre de facteurs semblent influencer l'incidence de la TIH, notamment le type et la préparation d'héparine (l'héparine non fractionnée (HNF) ou l'héparine de bas poids moléculaire (HBPM)) et la population de patients exposés, les patients postopératoires ayant un risque plus élevé.
Bien que l'HBPM ait largement remplacé l'HNF comme traitement de première ligne, il existe des preuves corroborant une absence de supériorité de l'HBPM par rapport à l'HNF en ce qui concerne la prévention de la thrombose veineuse profonde et de l'embolie pulmonaire après une intervention chirurgicale, et des fréquences similaires de saignements ont été décrites avec l'HBPM et l'HNF. La décision concernant laquelle de ces deux préparations d'héparine utiliser peut donc être influencée par leurs effets indésirables tels que la TIH. Nous avons donc cherché à déterminer l'impact relatif de l'HNF et de l'HBPM sur la TIH chez les patients postopératoires recevant une prophylaxie thromboembolique. Cet article est une mise à jour d'une revue publiée pour la première fois en 2012.
L'objectif de cette revue était de comparer l'incidence de la thrombocytopénie induite par l'héparine (TIH) et de la TIH compliquée par une thromboembolie veineuse chez les patients postopératoires exposés à de l'héparine non fractionnée (HNF) par rapport à de l'héparine de bas poids moléculaire (HBPM).
Pour cette mise à jour, le spécialiste Cochrane de l'information vasculaire a réalisé des recherches dans son registre spécialisé (en mai 2016), sur CENTRAL (2016, numéro 4) et dans les registres d'essais cliniques. Les auteurs ont effectué des recherches dans Lilacs (en juin 2016) et des essais supplémentaires ont été recherchés dans les références bibliographiques des publications pertinentes.
Nous avons inclus des essais contrôlés randomisés (ECR) dans lesquels les participants étaient des patients postopératoires assignés à recevoir une prophylaxie avec de l'HNF ou de l'HBPM, en aveugle ou de manière ouverte. Les études ont été exclues si celles-ci n'avaient pas utilisé la définition acceptée de la TIH. Celle-ci était définie comme étant une réduction relative de la numération plaquettaire de 50 % ou plus à partir du pic postopératoire (même si la numération plaquettaire à son plus faible seuil est restée supérieure à 150 x 109/L) survenant dans les cinq à 14 jours après l'opération, avec ou sans la survenue d'un événement thrombotique dans ce laps de temps. En outre, nous avons exigé que les anticorps circulants associés au syndrome aient été étudiés au moyen d'analyses de laboratoire.
Deux auteurs de la revue ont indépendamment extrait les données et évalué le risque de biais. Les désaccords ont été résolus par consensus avec la participation d'un troisième auteur.
Dans cette mise à jour, nous avons inclus trois essais portant sur 1398 participants en postopératoire. Les participants ont subi des procédures chirurgicales générales, mineures et majeures, et l'âge moyen minimum était de 49 ans. L'analyse groupée a montré une réduction significative du risque de TIH avec de l'HBPM par rapport à de l'HNF (risque relatif (RR) 0,23, intervalle de confiance à 95 % (IC) 0,07 à 0,73) ; preuves de faible qualité. Le nombre de sujets à traiter pour obtenir un résultat bénéfique supplémentaire (NSTb) était de 59. Le risque de TIH était systématiquement réduit lorsque les participants subissaient des procédures chirurgicales majeures et étaient exposés à de l'HBPM ou de l'HNF (RR 0,22, IC à 95 % 0,06 à 0,75) ; preuves de faible qualité. L'incidence de la TIH compliquée par la thromboembolie veineuse était significativement plus faible chez les participants recevant de l'HBPM par rapport à de l'HNF (RR 0,22, IC à 95 % 0,06 à 0,84) ; preuves de faible qualité. Le NSTb était de 75. Une thrombose artérielle est survenue chez un unique participant ayant reçu de l'HNF. Il n'y avait aucun cas d'amputation ou de décès rapporté. Bien que les preuves disponibles soient limitées, il semble que la TIH induite par les deux types d'héparine est courante chez les personnes subissant des procédures chirurgicales majeures (incidence supérieure à 1 % et inférieure à 10 %).
Traduction réalisée par Martin Vuillème et révisée par Cochrane France