Des chercheurs de la Collaboration Cochrane ont mené une revue des effets d'un traitement pré-transfert par l'artésunate rectal chez les personnes avec une suspicion de paludisme grave vivant dans les zones rurales sans services de santé. Après avoir recherché tous les essais pertinents jusqu'à mai 2014, les auteurs ont inclus un seul essai contrôlé randomisé. Cet essai avait été réalisé sur divers sites au Ghana, en Tanzanie et au Bangladesh, et totalisait 17 826 enfants et adultes.
Qu'est-ce que le paludisme grave et comment un traitement pré-transfert par l'artésunate rectal pourrait-il réduire les décès ?
Le paludisme grave est une pathologie médicale sérieuse provoquée par une infection par le parasite Plasmodium qui entraîne typiquement des vomissements, l'anémie, des tremblements, le coma et le décès. Il est traité en administrant des injections de médicaments antipaludiques, qui doivent être commencés le plus vite possible afin de réduire les risques de décès et de lésions cérébrales. Dans certaines zones rurales où le paludisme est fréquent, les gens doivent voyager pendant plusieurs heures pour parvenir aux cliniques de soins de santé et aux hôpitaux, et beaucoup meurent pendant le trajet. Dans ces environnements, les personnes sans formation de soins de santé formelle pourraient être entraînées à administrer de l'artésunate par voie rectale pour commencer le traitement du paludisme avant de transporter le patient à l'hôpital.
Ce qu'en disent les recherches
Un seul essai avait évalué l'artésunate par voie rectale en traitement pré-transfert. Sur les sites africains, seulement des enfants âgés de 6 à 72 mois ont été inclus dans l'essai, tandis que sur le site d'essai asiatique, des enfants plus âgés et des adultes ont également été inclus.
Sur les sites d'essai africains et asiatique, chez les jeunes enfants (âgés de 6 à 72 mois) il y avait moins de décès avec l'artésunate rectal qu'avec le placebo (preuves de qualité modérée). Cependant, en Asie chez les enfants plus âgés et les adultes, il y avait plus de décès parmi ceux ayant reçu de l'artésunate par voie rectale (preuves de faible qualité).
Sur les sites africains, 56 % des enfants ont nécessité plus de six heures pour parvenir à l'hôpital, tandis que plus de 90 % des patients sur le site asiatique sont arrivés à l'hôpital dans les six heures.
Ce résultat inattendu de davantage de décès constatés avec l'administration de l'artésunate par voie rectale chez les enfants plus âgés et les adultes devrait être pris en compte lors de l'élaboration de politiques nationales et locales sur le traitement pré-transfert.
Dans les zones rurales sans accès aux antipaludiques injectables, l'administration de l'artésunate par voie rectale avant le transfert dans une structure de référence réduit probablement la mortalité chez les jeunes enfants gravement malades par rapport au renvoi dans une structure de référence sans traitement. Cependant, le résultat inattendu d'une éventuelle augmentation de la mortalité chez les enfants plus âgés et les adultes doit être pris en compte dans l'élaboration de toute politique nationale ou locale concernant l'artésunate rectal pré-transfert.
Le paludisme grave ou compliqué est une urgence médicale et des patients décèdent en raison de retards dans le début du traitement. La plupart des patients nécessitent un traitement par voie parentérale, et dans les établissements de soins de santé primaires, où le traitement intraveineux n'est pas disponible mais des injections intramusculaires peut être administrées, la quinine, l'artésunate et l'artéméther par voie intramusculaire ont été utilisés avant le transfert des patients à l'hôpital.
Cependant, en milieu rural avec un accès limité aux soins de santé, des injections intramusculaires ne sont pas toujours disponibles non plus. Dans ces situations, l'administration de l'artésunate par voie rectale avant le transfert à l'hôpital par des volontaires avec peu de formation médicale pourrait être une option envisageable.
Évaluer les effets d'un traitement de pré-transfert par l'artésunate rectal sur la mortalité et la morbidité chez les patients atteints de paludisme grave.
Nous avons effectué des recherches dans le registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL) publié dans la Bibliothèque Cochrane, MEDLINE, EMBASE et LILACS jusqu'au 21 mai 2014. Nous avons également effectué des recherches dans le système d'enregistrement des essais cliniques de l'OMS et le méta-registre des essais contrôlés (mREC) pour les essais en cours.
Essais contrôlés randomisés individuellement ou en grappes comparant l'artésunate rectal pré-transfert à un placebo ou à des antipaludéens injectables chez les enfants et les adultes atteints de paludisme grave.
Deux auteurs ont indépendamment passé au crible les titres et les résumés pour des essais potentiellement éligibles, et extrait les données des essais inclus. Les résultats dichotomiques ont été résumés à l'aide des risques relatifs (RR) et présentés avec des intervalles de confiance à 95 % (IC à 95 %). Lorsque les données le permettaient, nous avons effectué des analyses en sous-groupes par l'âge, la région d'essai et l'inclusion ou non des participants dans l'analyse d'essai. Nous avons évalué la qualité des preuves pour les critères de jugement les plus importants en utilisant l'approche GRADE.
Un essai remplissait les critères d'inclusion ; il s'agissait d'un essai contrôlé contre placebo portant sur 17 826 enfants et adultes vivant dans des villages ruraux au Ghana et en Tanzanie (Afrique) ainsi qu'au Bangladesh (Asie). Des villageois sans formation médicale antérieure ont été formés à reconnaître les symptômes du paludisme grave, à administrer de l'artésunate par voie rectale et à orienter les patients vers l'hôpital. Le villageois ainsi entraînés étaient supervisés pendant la période d'essai. Sur les sites africains, seuls des enfants âgés de 6 à 72 mois ont été recrutés, tandis qu'au Bangladesh, des enfants plus âgés et des adultes ont également été inclus.
Chez les jeunes enfants (âgés de 6 à 72 mois), il y avait moins de décès suite à l'artésunate rectal par rapport au placebo (RR 0,74 ; IC à 95 % de 0,59 à 0,93 ; un essai ; 8 050 participants ; preuves de qualité modérée), tandis que chez les enfants plus âgés et les adultes il y avait davantage de décès chez les patients ayant reçu l'artésunate rectal (RR 2,21 ; IC à 95 % de 1,18 à 4,15 ; un essai ; 4 018 participants ; preuves de faible qualité).
En Afrique, seuls 56 % des participants sont arrivés à l'établissement de soins de santé secondaires dans les six heures, contre plus de 90 % en Asie. Il n'y avait aucune différence entre les groupes d'intervention et témoins dans la proportion de participants atteignant un établissement de santé dans les six heures (RR 0,99 ; IC à 95 % de 0,98 à 1,01 ; 12 068 participants), ou dans la proportion de participants présentant une parasitémie (RR 1,00 ; IC à 95 % de 0,98 à 1,02 ; 17 826 participants), ou un coma ou des convulsions à l'arrivée (RR 1,01 ; IC à 95 % de 0,90 à 1,14 ; 12 068 participants).
Il n'existe aucun essai comparant l'artésunate par voie rectale versus intramusculaire.