Contexte
La demande de chirurgie va croissant, mais aussi la pression sur les coûts de santé, et il est à prévoir que le nombre d'anesthésistes médicalement qualifiés sera un jour insuffisant. La présente revue visait à déterminer si l'anesthésie pourrait être assurée de manière aussi efficace et sûre par des infirmiers ou infirmières anesthésistes (non médecins) que par des médecins anesthésistes ayant suivi des études spécialisées.
Caractéristiques des études
Les preuves sont à jour à la date du 13 février 2013. Nous avons trouvé six études pertinentes : cinq grandes études observationnelles menées aux États-Unis, avec un groupe de comparaison et sur des durées de 2 à 11 ans, et une étude beaucoup plus petite réalisée à Haïti sur 12 semaines. Ces études totalisent plus de 1,5 million de participants. Les informations concernant ces études sont tirées des bases de données d'assurance américaines (Medicare) et des registres hospitaliers. La petite étude est basée sur des interventions médicales d'urgence faisant suite aux ouragans de 2008 en Haïti.
Principaux résultats
La plupart des études indiquent qu'il n'y a eu aucune différence dans le nombre de décès quand l'anesthésie était administrée par un infirmier anesthésiste ou par un médecin anesthésiste spécialisé. Une étude indique un taux inférieur de décès avec les infirmiers anesthésistes par rapport aux anesthésistes médicalement qualifiés. Une étude indique que le risque de décès est plus faible avec les infirmiers anesthésistes que lorsque l'infirmier est supervisé par un anesthésiste ou travaille au sein d'une équipe d'anesthésie, tandis qu'un autre rapporte un risque de décès était plus élevé par rapport à une approche supervisée ou en équipe. Les autres études donnent des résultats disparates. De même, il y a des variations entre les études sur les taux de complications pour les patients en fonction de la personne qui réalise l'anesthésie.
Qualité des preuves
Une grande partie des données provient de grandes bases de données, dont les rapports peuvent être grevés d'inexactitudes. Il peut aussi y avoir des différences importantes entre les patients, ce qui pourrait expliquer les variations dans les résultats des études : par exemple, si les patients les plus malades étaient traités par un médecin anesthésiste, ou si les infirmiers anesthésistes travaillaient dans des hôpitaux qui avaient moins de ressources. Plusieurs études tiennent compte de ces différences possibles dans l'analyse, mais nous n'avons pas pu établir si cette prise en compte était suffisamment bien appliquée pour que l'on puisse se fier aux résultats. Il y avait aussi un risque de confusion lié aux des sources de financement de certaines de ces études.
Conclusion
Comme aucune des données n'était de qualité suffisante et que les études formulaient des conclusions incohérentes, nous avons conclu qu'il ne était pas possible de dire s'il y avait des différences entre les soins dispensés par des médecins anesthésistes et ceux assurés par des infirmiers anesthésistes sur la base des preuves disponibles.
Nous ne sommes pas en mesure de formuler un avis concluant à propos de l'éventuelle supériorité d'un type de procédure d'anesthésie sur une autre. La complexité des soins périopératoires, le faible taux intrinsèque de complications directement liées à l'anesthésie et les effets de confusion potentiels dans les études examinées, dont aucune n'était randomisée, nous empêchent de répondre de façon définitive à la question posée pour la revue.
La demande de chirurgie va croissant, mais aussi la pression sur les coûts de santé, et il est à prévoir que le nombre d'anesthésistes médicalement qualifiés sera un jour insuffisant. Dans ces conditions, il est important d'évaluer si les anesthésistes non médecins, n'ayant pas fait d'études de médecine, peuvent assurer des services d'anesthésie d'un niveau équivalent à celui des médecins anesthésistes qualifiés.
Évaluer l'innocuité et l'efficacité des différents prestataires d'anesthésie dans le cadre d'opérations chirurgicales sous anesthésie générale, locorégionale ou péridurale. Nous avions prévu d'examiner les résultats d'études menées dans des pays du monde entier (nations industrialisées et pays en voie de développement).
Nous avons effectué des recherches dans le registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE et CINAHL jusqu'au février 2014. Nos termes de recherche étaient pertinents en relation avec la problématique de la revue, sans limitation sur la conception ou les critères d'évaluation des études. Nous avons également effectué des recherches dans les registres des essais cliniques, les citations et la littérature grise.
Nous avons examiné tous les essais contrôlés randomisés (ECR), les études non randomisées (ENR), les essais en grappes non randomisés et les études d'observation comportant un groupe de comparaison. Nous avons inclus les études qui comparaient une anesthésie administrée par un anesthésiste non médecin travaillant de façon autonome avec un anesthésie administrée soit par un médecin anesthésiste travaillant de façon indépendante, soit par un anesthésiste non médecin travaillant au sein d'une équipe supervisée ou dirigée par un médecin anesthésiste.
Trois auteurs de la revue ont évalué indépendamment la qualité des essais et extrait les données et ont pris contact avec les auteurs des études, si nécessaire, pour obtenir des informations supplémentaires. Outre les procédures méthodologiques standard, nous avons évalué le risque de biais des études non randomisées sur l'outil de mesure spécifique du risque de biais dans les ENR présenté lors de la réunion des Contributeurs Cochrane au Royaume-Uni de mars 2012. Nous avons examiné le case-mix et le type d'intervention chirurgicale, les comorbidités des patients, le type d'anesthésique administré et les caractéristiques de l'hôpital en tant que facteurs de confusion possibles dans les études, et évalué la façon dont les auteurs avaient tenu compte de ces facteurs de confusion.
Nous avons inclus six ENR totalisant 1 563 820 participants. Cinq d'entre elles étaient de grandes études de cohorte rétrospectives utilisant les données hospitalières ou administratives recueillies habituellement aux États-Unis. La sixième étude était une petite étude de cohorte, basée sur des interventions médicales d'urgence en Haïti. Deux études concernaient seulement des patientes d'obstétrique, tandis que les autres couvraient diverses interventions chirurgicales. Il n'a pas été possible de combiner les données des études incluses, en raison de leur hétérogénéité.
Deux études ne montrent aucune différence dans le risque de décès parmi les femmes subissant une césarienne selon que l'anesthésie est administrée par un anesthésiste non médecin (ANM) ou par un médecin spécialiste, travaillant de façon autonome l'un comme l'autre. Une étude rapporte qu'il n'y a aucune différence de mortalité entre des groupes de praticiens travaillant de façon indépendante. Un étude compare le risque de mortalité entre les états des États-Unis ayant adopté ou refusé l'obligation imposée par les assurances fédérales que les anesthésistes non médecins soient soumis au contrôle d'un médecin anesthésiste. Cette étude fait état d'un risque de mortalité plus faible pour les anesthésistes non médecins travaillant indépendamment que pour les anesthésistes médecins travaillant indépendamment, aussi bien dans les états ayant adopté cette règle que dans ceux qui l'ont refusée.
Une étude rapporte un risque de mortalité plus faible pour les ANM travaillant indépendamment que pour les ANM supervisés ou dirigés. Une étude rapporte un risque de mortalité plus élevé pour les ANM travaillant indépendamment que dans un groupe d'ANM supervisés ou dirigés, mais ne présente aucun test statistique. Une étude rapporte un risque plus faible mortalité dans le groupe des ANM travaillant de façon indépendante que dans le groupe d'ANM supervisés ou dirigés, que ce soit dans les états ayant adopté l'obligation ou dans ceux qui l'ont refusée, avant l'introduction de cette règle, mais un risque de mortalité plus élevé dans les états ayant refusé l'obligation après l'introduction de la règle. Une étude rapporte un seul décès et n'est pas en mesure de déterminer un risque de mortalité. Une étude indique que le risque de décès et d'échec des secours était plus élevé pour les ANM classés comme non dirigés que pour ANM dirigés.
Trois études rapportent le risque de complications liées à l'anesthésie pour les ANM travaillant indépendamment par rapport à celui des médecins anesthésistes travaillant indépendamment. Deux de ces études ne trouvent aucune différence dans le risque de complications chez des femmes ayant eu une césarienne. Une autre ne trouve aucune différence de risque de complications entre les groupes dans les états américains qui n'ont pas refusé l'obligation. Cette étude fait état d'un risque plus faible de complications pour les ANM travaillant indépendamment que pour les médecins anesthésistes travaillant indépendamment dans les états ayant renoncé à l'obligation avant l'introduction de la règle de renonciation mais un risque plus élevé après son introduction, mais ces différences n'ont pas été vérifiées statistiquement.
Deux études rapportent un risque de complications globalement inférieur pour les ANM travaillant indépendamment que pour les ANM supervisés ou travaillant en équipe, mais ne rapportent aucune vérification statistique. Une étude ne rapporte aucune preuve d'un risque accru de complications postopératoires dans un groupe d'ANM non dirigés par rapport à un groupe d'ANM dirigés.
Le risque de biais et l'évaluation des facteurs de confusion étaient particulièrement importants pour cette revue. Nous étions préoccupés par l'utilisation des données de routine pour la recherche et par l'exactitude probable de ces bases de données pour la détermination des groupes d'intervention et de contrôle. Dans ces conditions, nous avons jugé que le risque d'inexactitude était moyen pour quatre études, faible pour une autre et indéfini pour une dernière qui ne donnait pas suffisamment de détails. Alors que nous attendions à ce que la mortalité soit rapportée de façon précise dans les systèmes de dossiers médicaux, nous pensions que les rapports ne seraient peut-être pas aussi précis en ce qui concerne les complications, pour lesquelles des codes sont utilisés. Nous avons donc jugé que le risque de biais des études était risque ou incertain en ce qui concerne la communication des données relatives aux complications. Quatre des six études ont reçu un financement, ce qui pourrait avoir influencé le compte-rendu et l'interprétation de leurs résultats. Les facteurs de confusion examinés dans les études, de façon plus ou moins détaillée, étaient le case-mix, les comorbidités et les caractéristiques des hôpitaux ; ici encore, nous nous sommes inquiétés de l'exactitude du codage des données dans les registres et les variables considérées lors de l'évaluation. Cinq des études ont utilisé des modèles de régression logistique multivariée pour tenir compte de ces facteurs de confusion. Nous avons jugé trois d'entre elles comme étant à faible risque, une à risque moyen et une à haut risque d'ajustement incomplet dans l'analyse.
Traduction réalisée par Cochrane France