Question de la revue
Nous avons examiné les preuves concernant l'efficacité des stratégies de dosage des médicaments opiacés sous supervision dans le traitement de substitution aux opiacés pour les personnes ayant une dépendance aux médicaments opiacés.
Contexte
La dépendance aux opiacés (DO) est un problème de santé publique dans le monde entier et est associée à des charges significatives pour les systèmes de santé et à des décès liés aux médicaments. La DO représente un problème de santé complexe qui nécessite généralement un traitement à long terme. Les directives internationales recommandent un traitement de substitution aux opiacés (TSO), tel que la méthadone et la buprénorphine, en tant que traitement de première intention pour la DO. Le TSO est une forme de soin pour les personnes ayant une dépendance à l'héroïne, ou celles étant devenues dépendantes après avoir pris des médicaments opioïdes prescrits pour des douleurs, et implique la substitution du médicament qui est utilisé de manière inappropriée avec un médicament opiacé à action prolongée. La TSO offre aux personnes qui présentent une dépendance aux opiacés l'opportunité de stabiliser leur vie et de faire face aux éléments sociaux et psychologiques qui tendent à accompagner la dépendance aux opiacés. Un aspect négatif de la TSO est que les médicaments utilisés peuvent être détournés, vendus sur le marché noir ou utilisés de manière inappropriée. Une stratégie permettant de minimiser ces détournements consiste à prendre les médicaments sous supervision (le dosage supervisé). Avec la prise des médicaments sous supervision, l'accès aux doses de médicaments à prendre à domicile devient un privilège qui peut être utilisé comme moyen de motivation ou comme récompense. La prise de médicaments sous supervision est également associée à de plus fréquents contacts entre le client et les prestataires de services, ce qui offre plus d'occasions d'initier un travail thérapeutique. Cependant, offrir cette supervision est plus coûteux pour les prestataires de services, et plus restrictif pour les clients, qui doivent venir se présenter chaque jour pour obtenir leur dose. L'objectif de cette revue était d'évaluer l'efficacité du dosage supervisé par rapport à l'offre de médicaments à prendre à domicile, en termes de réduction de la consommation d'héroïne et d'autres opiacés illégaux, de maintien de la prise du traitement, des usages détournés des médicaments et des effets indésirables.
Date de la recherche
Les preuves sont à jour jusqu'en avril 2016.
Caractéristiques de l'étude
Nous avons identifié six études portant sur 7999 personnes recevant un traitement à base de méthadone (7786 personnes) ou de buprénorphine–naloxone (213 personnes) pour une dépendance aux opiacés. Quatre études étaient des essais contrôlés randomisés (des études cliniques où les participants sont assignés de façon aléatoire dans un des deux ou plusieurs groupes de traitement), tandis que les deux autres études ont suivi des groupes de personnes au fil du temps. Quatre de ces études ont été financées par le National Institutes for Health Research et par le Health Research Board, et une seule étude n'indiquait pas ses sources de financement. Une étude a également été financées par le laboratoire pharmaceutique produisant la buprénorphine–naloxone.
Principaux résultats
Au bout de trois mois ou plus de suivi, cette revue n'a trouvé aucune preuve concernant l'efficacité du dosage supervisé par rapport au maintien de la prise du traitement, à la réduction de la consommation d'opiacés, à la réduction de la mortalité et aux événements indésirables liés aux médicaments. Une étude a découvert que le dosage supervisé a conduit à une réduction des usages détournés. Aucune des études n'a évalué l'effet du dosage supervisé sur la douleur, le sentiment d'avoir besoin de consommer des substances, le nombre de jours durant lesquels des opiacés ont été consommés de manière inappropriée, les surdoses et les hospitalisations.
Nous ne sommes pas en mesure d'émettre des conclusions quant à l'efficacité du dosage supervisé par rapport à la dispense de médicaments à prendre à domicile dans le contexte du TSO. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer l'efficacité du dosage supervisé ou des médicaments à prendre à domicile dans le TSO.
Qualité des preuves
Dans l'ensemble, les études étaient modérément bien menées, mais il y avait un faible nombre d'études rapportant des résultats d'intérêt, ce qui était insuffisant pour évaluer l'efficacité de l'intervention sur des résultats tels que les usages détournés, la réduction de la consommation des opiacés, le maintien de la prise du traitement et la fréquence de consommation d'opiacés de manière inappropriée. De plus, le nombre limité d'apparition de certains événements entre les études a entraîné la qualité globale des preuves a être évaluée comme étant faible et très faible. Cela indique que des preuves supplémentaires seraient susceptibles de modifier les estimations de l'effet relatif identifié dans cette revue.
Les stratégies de prise des médicaments à domicile sont intéressantes pour les services de traitement en raison des coûts plus faibles, et imposent moins de restrictions aux clients, mais on ignore si celles-ci sont associées à un risque accru d'usage détourné ou inapproprié des médicaments. Il existe des incertitudes concernant les effets du dosage supervisé par rapport à l'offre de médicaments sans supervision en raison de la faible et très faible qualité des données pour les critères de jugement principaux d'intérêt pour cette revue. Les données concernant les critères de jugement secondaires étaient similairement limitées. Des recherches supplémentaires comparant les stratégies de prise de médicaments sous supervision ou à domicile sont nécessaires pour corroborer les décisions concernant l'efficacité relative de ces stratégies. Les essais doivent être conçus et menés avec une haute rigueur et porter sur une plus longue période de suivi pour soutenir la comparaison des stratégies à différents stades du traitement. En particulier, il existe un besoin d'études évaluant plus en détail le risque d'usages détournés et les critères de jugement quant à l'innocuité des TSO sous supervision pour la prise en charge de la dépendance aux opiacés.
La dépendance aux opiacés (DO) est un problème clinique et de santé publique en progression partout dans le monde. Les directives internationales recommandent un traitement de substitution aux opiacés (TSO), tel que la méthadone et la buprénorphine, en tant que traitement de première intention pour le traitement médicamenteux de la DO. Un aspect négatif du TSO est que le médicament utilisé peut être utilisé de manière détournée, par exemple en étant vendu sur le marché noir et utilisé de manière inappropriée. La prise quotidienne de médicaments sous supervision utilisés dans le TSO présente l'avantage de réduire le risque d'usages détournés, et peut favoriser l'engagement thérapeutique, ce qui peut potentiellement améliorer l'aspect psychosocial des TSO, mais cette option est plus coûteuse et plus restrictive pour le client que la dispense de médicaments pour consommation excentrée.
L'objectif de cette revue systématique est de comparer l'efficacité de la TSO par dosage supervisé par rapport à la dispense de médicaments pour consommation excentrée.
Nous avons effectué des recherches dans le registre spécialisé du groupe Cochrane sur les drogues et l'alcool et dans le registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL), sur MEDLINE, Embase, CINAHL, Web of Science depuis leur date de création jusqu'en avril 2016. Les études en cours et non publiées ont été consultées via ClinicalTrials.gov (www.clinicaltrials.gov) et l'International Clinical Trials Registry Platform (ICTRP) de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) (http://www.who.int/ictrp/en/).
Toutes les recherches ont inclus les documents non rédigés en anglais. Nous avons effectué des recherches manuelles dans les bibliographies des revues systématiques sur des sujets similaires.
Les essais contrôlés randomisés (ECR), les essais cliniques contrôlés (ECC), et les études de cohortes prospectives contrôlées, portant sur des personnes recevant une TSO (méthadone, buprénorphine) et comparant le dosage supervisé à la dispense de médicaments pouvant être consommés en dehors du site où ceux-ci sont offerts, généralement sans supervision.
Nous avons utilisé les procédures méthodologiques standard prévues par Cochrane.
Six études (quatre ECR et deux études de cohorte observationnelles prospectives), portant sur 7999 participants, comparant le traitement de TSO supervisé à un traitement non supervisé, remplissaient les critères d'inclusion. Le risque de biais était généralement modéré dans les essais, mais les résultats rapportés concernant les critères de jugement que nous avions prévu d'analyser étaient limités. Dans l'ensemble, nous avons estimé que la qualité des preuves était faible à très faible pour tous les critères de jugement.
Nous n'avons trouvé aucune différence dans la rétention à n'importe quelle durée avec le dosage supervisé par rapport à l'offre de médicaments sans supervision (RR 0,99, IC à 95 % 0,88 à 1,12, quatre essais, 716 participants, preuves de faible qualité) ou dans la rétention dans la plus courte période de suivi, soit trois mois (RR 0,94 ; IC à 95 % 0,84 à 1,05 ; 472 participants, trois essais, preuves de faible qualité). Des données supplémentaires au bout de 12 mois, issues d'une étude observationnelle n'ont pas montré de différence en termes de rétention entre les groupes (RR 0,94, IC à 95 % 0,77 à 1,14 ; n = 300). Il n'y avait aucune différence dans l'abstinence à la fin du traitement (utilisation auto-rapportée de substances) (67 % versus 60 %, P = 0,33, 293 participants, un essai, preuves de très faible qualité) ; et dans l'usage détourné des médicaments (5 % versus 2 %, 293 participants, un essai, preuves de très faible qualité).
Concernant nos critères de jugement secondaires, nous n'avons pas trouvé de différence dans l'incidence des effets indésirables dans le dosage supervisé par rapport au groupe témoin sans supervision (RR 0,63 ; IC à 96 % 0,10 à 3,86 ; 363 participants, deux essais, preuves de très faible qualité). Les données concernant la gravité de la dépendance étaient très limitées (244 participants, un essai) et n'ont montré aucune différence entre les deux approches. Les données concernant les décès étaient rapportées dans deux études. Un essai a rapporté deux décès dans le groupe sous supervision (preuves de faible qualité), tandis que l'étude de cohorte rapportait que la mortalité toutes causes confondues était plus faible dans le groupe ayant une supervision régulière (taux de mortalité brut de 0,60 versus 0,81 pour 100 personne-années), quoique après ajustement il n'y avait pas suffisamment de preuves permettant de suggérer que la supervision régulière avait un effet protecteur (taux de mortalité relatif = 1,23, IC à 95 % = 0,67 à 2,27).
Aucune étude n'a rapporté d'informations concernant la douleur, le sentiment d'avoir besoin de consommer des substances, les comportements inadaptés liés aux opioïdes, le nombre de jours durant lesquels des opiacés ont été consommés de manière inappropriée et les surdoses.
Traduction réalisée par Martin Vuillème et révisée par Cochrane France