Contexte
Les anticorps antiphospholipidiques (aPL) sont des protéines produites par le système immunitaire de certaines personnes qui sont dirigées contre des composants de leurs propres cellules. La présence de tels anticorps peut augmenter le risque de formation de caillots sanguins (thrombose) dans les vaisseaux sanguins ou de complications liées à la grossesse (telles que fausses couches à répétition, mortinaissance, naissance prématurée ou maladie grave chez une femme enceinte). Les caillots sanguins dans les artères peuvent causer des accidents vasculaires cérébraux, entraînant des lésions cérébrales ou des symptômes neurologiques réversibles. Les caillots sanguins dans les veines sont associés à une accumulation de liquide dans les membres (œdème) et à une douleur et, s'ils se détachent ou se déplacent, ils peuvent causer un blocage dans un vaisseau pulmonaire important (embolie pulmonaire).
Chez les personnes qui ont déjà eu un épisode thrombotique, deux types de médicaments sont couramment utilisés pour prévenir les épisodes thrombotiques récurrents : les anticoagulants et les agents antiplaquettaires. Les anticoagulants préviennent la formation de caillots (thrombus) en interférant avec l'activité des protéines impliquées dans la coagulation sanguine (facteurs de coagulation), tandis que les antiplaquettaires, habituellement l'aspirine, préviennent l'agrégation plaquettaire et entravent la formation du caillot. L'effet secondaire le plus courant d'un traitement anticoagulant ou antiplaquettaire est une tendance au saignement. Cependant, on sait peu de choses sur les avantages et les inconvénients de l'utilisation d'anticoagulants et d'antiplaquettaires chez les personnes qui ont des anticorps aPL mais qui n'ont jamais eu d'événement thrombotique auparavant.
Problématique
Cette revue visait à établir les avantages et les inconvénients potentiels de l'utilisation d'anticoagulants et d'antiplaquettaires pour prévenir les événements thrombotiques chez les personnes qui y sont prédisposées mais qui n'ont pas encore eu d'épisode thrombotique.
Caractéristiques de l’étude
Les données probantes sont à jour en décembre 2017. Nous avons cherché des études qui répartissaient au hasard des personnes ayant des anticorps aPL et n'ayant jamais eu d'épisode thrombotique pour recevoir différents traitements, y compris des anticoagulants, des antiplaquettaires, ou les deux. Nous avons recensé neuf études auxquelles ont participé 1 044 participants. Celles-ci ont été menées dans plusieurs pays différents. Une étude était multicentrique et avait diverses sources de financement. Dans deux études, l'aspirine a été comparée à un placebo (traitement factice). Quatre études ont comparé un anticoagulant avec ou sans aspirine à de l'aspirine seule. Les autres études ont comparé des combinaisons d'antiplaquettaires, d'anticoagulants, d'autres traitements ou deux doses différentes du même médicament. La majorité des études portaient sur des femmes ayant des anticorps aPL et des antécédents d'échec de grossesse. Une étude comprenait des cas non liés à la grossesse et une étude comprenait des cas liés à la grossesse et d'autres patients testés positifs pour les anticorps aPL.
Résultats principaux
Nous avons résumé les effets des traitements à l'aide des comparaisons suivantes : aspirine seule contre placebo, anticoagulant seul ou avec aspirine contre aspirine seule, aspirine avec anticoagulant contre placebo ou autre traitement. Nous n'avons trouvé aucune différence claire dans le nombre d'individus présentant des épisodes thrombotiques dans les groupes comparés. Une étude a révélé un risque accru de saignements mineurs (comme des saignements nasaux ou des menstruations intensifiées) chez les participants recevant de l'aspirine et un anticoagulant. Toutes les autres analyses n'ont pas révélé de différences significatives dans le nombre de participants ayant des saignements. Aucune des études n'a fait état de risques de décès ou de qualité de vie. Nous n'avons trouvé aucune différence claire entre les groupes en ce qui concerne les comparaisons des effets indésirables autres que les saignements, où cette information a été rapportée ; les plus fréquents de ces effets comprenaient des symptômes gastro-intestinaux légers dans le groupe aspirine et des réactions allergiques dans le groupe aspirine avec anticoagulant.
Qualité des données probantes
Nous n'avons évalué aucune des études comme étant à faible risque de biais en raison de préoccupations méthodologiques ou de la communication des résultats. Nous avons jugé que la qualité globale des données probantes s’étendait de faible à modérée, celles-ci ont été déclassées en raison du risque imprécis ou élevé de biais, du petit nombre d'études et des résultats imprécis.
Les données probantes sont insuffisantes pour démontrer les avantages ou les inconvénients de l'utilisation d'anticoagulants avec ou sans AAS par rapport à l'AAS seul chez les personnes ayant des anticorps aPl et des antécédents de pertes de grossesse récurrentes et sans antécédent ; l'AAS par rapport à un placebo chez les personnes ayant des anticorps aPl ; et l'AAS avec l'HBPM contre un placebo ou l’IgIV et l'AAS avec l'HBPM à dose élevée contre l’AAS avec l'HBPM à dose faible ou l’HNF chez les femmes ayant des anticorps aPl et des antécédents de pertes de grossesse récurrentes, pour la prévention primaire des épisodes thrombotiques. Dans une population mixte de personnes ayant des antécédents de perte de grossesse et n'ayant pas de tels antécédents, traitées par un anticoagulant combiné à l'AAS, l'incidence des saignements mineurs (saignements nasaux, ménorragie) a augmenté par rapport à un traitement par l'AAS seul. Des études suffisamment puissantes et axées principalement sur les événements thrombotiques sont nécessaires pour tirer des conclusions fermes sur la prévention primaire d’épisodes thrombotiques chez les personnes présentant des anticorps antiphospholipidiques.
Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) est une maladie auto-immune caractérisée par la présence d'anticorps antiphospholipides (aPL) qui ont une activité prothrombotique. Les anticorps antiphospholipides sont associés à un risque accru de complications de grossesse (fausses couches récurrentes, naissance prématurée, retard de croissance intra-utérine) et d'événements thrombotiques (tant artériels que veineux). Les épisodes thrombotiques les plus courants comprennent l'ischémie cérébrale (accident vasculaire cérébral ou attaque ischémique transitoire) et la thrombose veineuse profonde. Pour diagnostiquer le SAPL, la présence d'anticorps aPL dans deux mesures et au moins un événement thrombotique ou une complication de la grossesse sont nécessaires. Il n'est pas clair si les personnes avec des anticorps aPL positifs mais sans antécédents thrombotiques devraient recevoir une prophylaxie antithrombotique primaire.
Évaluer les effets des antiplaquettaires ou des anticoagulants par rapport au placebo ou à l'absence d'intervention ou à une autre intervention sur le développement d'une thrombose chez les personnes ayant des anticorps aPL qui n'ont pas eu d'épisode thrombotique. Nous n'avons pas abordé les résultats obstétricaux dans la présente revue, car ils ont été examinés en profondeur dans d'autres revues Cochrane.
Nous avons fait des recherches dans le Registre spécialisé du groupe Cochrane du domaine vasculaire (4 décembre 2017), le Registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL) (dernière recherche le 29 novembre 2017), MEDLINE Ovid, Embase Ovid, CINAHL et AMED (recherche le 4 décembre 2017) et les registres des essais (recherche le 29 novembre 2017). Nous avons également vérifié les listes de références des études incluses, des revues systématiques et des lignes directrices de pratique, et communiqué avec des experts dans le domaine.
Nous avons inclus les essais contrôlés randomisés (ECR) qui comparaient tout agent antiplaquettaire ou anticoagulant, ou leurs combinaisons, à toute dose et mode d'administration avec un placebo, l’absence d’intervention ou une autre intervention. Nous avons également inclus les ECR qui comparaient les antiplaquettaires ou les anticoagulants entre eux ou qui comparaient deux doses différentes du même médicament. Nous avons inclus les études réalisées chez des personnes de tout âge et sans antécédents de thrombose (selon les critères de classification APS Sapporo ou les critères de classification Sydney mis à jour), mais avec des anticorps aPL confirmés sur au moins deux mesures distinctes. Les études comprenaient à la fois des femmes enceintes dont le test de dépistage des anticorps aPL était positif et qui avaient des antécédents de complications obstétricales récurrentes, ainsi que des cas non liés à la grossesse avec dépistage positif des anticorps, conformément aux critères mentionnés ci-dessus.
Des paires d'auteurs ont choisi de façon indépendante les études à inclure, extrait les données et évalué le risque de biais pour les études incluses et la qualité des données probantes à l'aide de GRADE. Toute divergence a été résolue par la discussion ou par la consultation d'un troisième auteur de la revue, au besoin. De plus, un auteur de la revue a vérifié toutes les données numériques extraites.
Nous avons inclus neuf études impliquant 1044 participants randomisés. Les études ont eu lieu dans plusieurs pays et avaient des sources de financement différentes. Aucune étude ne présentait un faible risque de biais dans tous les domaines. Nous avons classé toutes les études incluses comme présentant un risque imprécis ou élevé de biais dans deux domaines ou plus. Sept d’entre elles étaient axées principalement sur les résultats obstétricaux. Une étude comprenait des cas non liés à la grossesse et une autre comprenait à la fois des cas liés à la grossesse et d'autres patients testés positifs pour les anticorps aPL. Les autres études portaient sur des femmes ayant des anticorps aPL et des antécédents d'échec de grossesse. Quatre études ont comparé l'anticoagulant avec ou sans acide acétylsalicylique (AAS) à l'AAS seul et n'ont observé aucune différence claire dans le risque de thrombose (risque relatif (RR) de 0,98, intervalle de confiance à 95 % (IC) de 0,25 à 3,77 ; 4 études ; 493 participants ; données probantes de faible qualité). Aucun saignement majeur n'a été signalé, mais le risque de saignement mineur (saignement nasal, ménorragie) était plus élevé dans le groupe combinant l’AAS et l'anticoagulant que dans le groupe prenant l'AAS seul dans une étude (RR 22,45, IC à 95 % 1,34-374,81 ; 1 étude ; 164 participants ; données probantes de faible qualité). Dans une étude, l'AAS a été comparé à un placebo, et il n'y avait pas de différence claire dans la thrombose (RR 5,21, IC à 95 % : 0,63 à 42,97 ; 1 étude ; 98 participants ; preuves de faible qualité) ou le risque de saignement mineur entre les groupes (RR 3,13, IC à 95 % : 0,34 à 29,01 ; 1 étude ; 98 participants ; données probantes de faible qualité) ; aucun saignement majeur n'a été observé. Deux études ont comparé l'AAS associé à l'héparine de bas poids moléculaire (HBPM) par rapport au placebo ou à l'immunoglobuline intraveineuse (IgIV), et aucun épisode thrombotique n'a été observé dans les groupes. De plus, il n'y avait pas de différence claire entre les groupes quant au risque de saignement nécessitant une transfusion (RR 9,0, IC à 95 % : 0,49 à 164,76 ; 1 étude ; 180 participants ; données probantes de qualité moyenne) ou de saignement post-partum (RR 1,30, IC à 95 % : 0,60 à 2,81 ; 1 étude ; 180 participantes ; données probantes de qualité moyenne). Deux études ont comparé l'AAS avec l'HBPM à forte dose à l'AAS avec l’HBPM à faible dose ou l'héparine non fractionnée (HNF) ; aucun épisode thrombotique ou saignement majeur n'a été signalé. Les données sur la mortalité et la qualité de vie n'ont été communiquées pour aucune des comparaisons.
Post-édition : Megan Casey - Révision : Grégory Huppe-Auros (M2 ILTS, Université Paris Diderot)