Bilan
Nous avons trouvé des preuves de faible qualité indiquant que le tramadol par voie orale a un important effet bénéfique sur les douleurs modérées ou sévères chez les personnes ayant des douleurs neuropathiques. Il n'existe que très peu de preuves permettant de soutenir ces conclusions.
Contexte
Les douleurs neuropathiques sont des douleurs qui surviennent spontanément ou de manière anormale à partir de lésions nerveuses. Celles-ci sont différentes des messages de douleur convoyés par les nerfs sains depuis une lésion des tissus biologiques (lors d'une chute, d'une coupure ou de brûlures). Les douleurs neuropathiques sont traitées avec des médicaments différents de ceux utilisés pour traiter les douleurs provenant de tissus endommagés et communément appelés analgésiques.
Les médicaments analgésiques opiacés (tels que la morphine) sont parfois utilisés pour traiter les douleurs neuropathiques. La morphine provient de plantes, mais de nombreux opioïdes sont créés en laboratoire plutôt qu'à partir d'extraits de plantes. Le tramadol est un médicament opiacé produit dans des laboratoires.
Caractéristiques de l'étude
En janvier 2017, nous avons recherché des essais cliniques dans lesquels du tramadol était utilisé pour traiter les douleurs neuropathiques chez l'adulte. Six études randomisant 438 participants à un traitement à base de tramadol ou à un placebo remplissaient les critères d'inclusion. La durée des études était comprise entre quatre et six semaines. Certaines études ne rapportaient pas les résultats nous intéressant.
Notre définition d'un bon résultat correspondait à une personne ayant un niveau élevé de soulagement de ses douleurs et étant capable de continuer à prendre le médicament sans effets secondaires entrainant l'arrêt du traitement.
Principaux résultats
Trois petites études ont rapporté que les douleurs étaient réduites de moitié ou plus chez certaines personnes. Une réduction des douleurs de moitié ou plus était ressentie par 5 personnes sur 10 avec le tramadol et 3 personnes sur 10 avec le placebo. Des effets secondaires ont été ressentis par 6 personnes sur 10 avec le tramadol et 3 personnes sur 10 avec le placebo, et 2 personnes sur 10 avec le tramadol et presque aucun des participants recevant un placebo n'a arrêté de prendre le traitement en raison des effets secondaires.
Qualité des preuves
Les preuves étaient généralement de qualité faible ou très faible. Cela signifie que les recherches ne fournissent pas une indication fiable du probable effet et qu'il est très probable que l'effet soit différent de ce qui est démontré au travers de l'analyse de ces essais. Des études de petite taille telles que celles incluses dans cette revue ont tendance à surestimer les résultats du traitement par rapport aux effets observés dans des études de plus grande taille et mieux réalisées. Il y avait également d'autres problèmes pouvant conduire à des résultats trop optimistes. Les preuves de faible qualité et l'absence de bénéfice important signifient que nous avons besoin de nouveaux essais à grande échelle avant de pouvoir établir si le tramadol est utile pour la prise en charge des douleurs neuropathiques.
Il n'existe que peu d'informations concernant l'utilisation du tramadol pour les douleurs neuropathiques et celles-ci sont issues d'études de petite taille, largement inadéquates et présentant des risques de potentiels biais. Ces biais devraient normalement augmenter le bénéfice apparent du tramadol. Les preuves indiquant un bénéfice avec le tramadol étaient de qualité faible ou très faible, ce qui signifie que celles-ci ne permettent pas de fournir une indication fiable de l'effet probable, et il est très probable que l'effet soit sensiblement différent de l'estimation offerte dans cette revue systématique.
Cet article est une mise à jour d'une revue publiée en 2006 portant sur le tramadol pour le traitement des douleurs neuropathiques ; la mise à jour de la revue a été réalisée dans le but de rendre celle-ci conforme aux normes actuelles. Les douleurs neuropathiques, qui sont causées par des lésions ou des maladies touchant le système somesthésique peuvent être d'origine centrale ou périphérique. Les douleurs neuropathiques périphériques incluent souvent des symptômes tels que des sensations de brûlure ou d'élancements, une sensibilité anormale aux stimulations indolores, ou une augmentation de la sensibilité aux stimulations normalement douloureuses. Les douleurs neuropathiques sont un symptôme courant dans de nombreuses maladies du système nerveux périphérique.
Évaluer l'efficacité analgésique du tramadol par rapport à un placebo ou à d'autres interventions actives contre les douleurs neuropathiques chroniques chez l'adulte, et les événements indésirables associés à son utilisation dans des essais cliniques.
Nous avons effectué des recherches dans CENTRAL, MEDLINE et Embase pour identifier des essais contrôlés randomisés depuis leur date de création jusqu'en janvier 2017. Nous avons également effectué des recherches dans les références bibliographiques des études et des revues trouvées, et dans les registres d'essais cliniques en ligne.
Nous avons inclus des essais randomisés en double aveugle d'une durée de deux semaines ou plus, comparant le tramadol (via n'importe quelle voie d'administration) à un placebo ou à un autre traitement actif contre les douleurs neuropathiques, avec évaluation subjective des douleurs par le participant.
Deux auteurs de la revue ont indépendamment extrait les données et évalué la qualité des essais et les biais potentiels. Les critères de jugement principaux étaient : les participants présentant un important soulagement des douleurs (au moins 50 % de soulagement des douleurs par rapport aux douleurs d'origine ou une amélioration très significative sur l'échelle Patient Global Impression of Change (PGIC), ou un soulagement modéré des douleurs (au moins 30 % de soulagement des douleurs par rapport aux douleurs d'origine ou une amélioration significative ou très significative sur l'échelle PGIC). Lorsqu'une analyse groupée était possible, nous avons utilisé les données dichotomiques pour calculer le risque relatif (RR) et le nombre de sujets à traiter pour obtenir un résultat bénéfique supplémentaire (NSTb) ou un effet néfaste (NNN), au moyen de méthodes standard. Nous avons évalué la qualité des preuves en utilisant le système GRADE et créé des tableaux « Résumé des résultats ».
Nous avons identifié six études randomisées en double aveugle portant sur 438 participants ayant des douleurs neuropathiques aux caractéristiques adéquates. Dans celles-ci, le tramadol a été offert à une dose d'environ 100 mg par jour puis la dose a été augmentée sur une à deux semaines jusqu'à un maximum de 400 mg par jour ou jusqu'à la dose maximale tolérée, qui a ensuite été maintenue pendant le reste de l'étude. Les participants avaient éprouvé des douleurs neuropathiques modérées ou sévères dues à un cancer, à une névralgie post-herpétique, à une neuropathie diabétique périphérique, à une lésion de la moelle épinière ou à une polyneuropathie pendant au moins trois mois. L'âge moyen était de 50 à 67 ans et le nombre d'hommes et de femmes était approximativement égal. La plupart des personnes exclues avaient des comorbidités importantes ou des douleurs d'une autre origine. Les traitements ont été offerts pendant quatre à six semaines, et deux études avaient un plan d'étude croisé.
Certaines études ne rapportaient pas tous les critères de jugement d'intérêt, et les données étaient limitées concernant les résultats relatifs aux douleurs. Une réduction d'au moins 50 % de l'intensité des douleurs a été rapportée dans trois études (265 participants, 110 événements). À l'aide d'une analyse à effets aléatoires, 70 participants sur 132 (53 %) avaient un soulagement de l'intensité des douleurs d'au moins 50 % avec le tramadol, et 40 participants sur 133 (30 %) avec un placebo ; le risque relatif (RR) était de 2,2 (intervalle de confiance à 95 % (IC) 1,02 à 4,6). Le NSTb calculé à partir de ces données était de 4,4 (IC à 95 % 2,9 à 8,8). Nous avons rabaissé la qualité des preuves pour ce critère de jugement de deux niveaux jusqu'à une faible qualité en raison de la petite taille des études et des données regroupées, parce qu'il n'y avait que 110 événements, que l'analyse a inclus différents types de douleurs neuropathiques, que toutes les études présentaient au moins un risque élevé de biais potentiel, et que la durée des études était courte.
Les participants ont ressenti davantage d'événements indésirables avec le tramadol qu'avec le placebo. Le rapport d'un quelconque événement indésirable était plus élevé avec le tramadol (58 %) par rapport au placebo (34 %) (4 études, 266 participants, 123 événements ; RR 1,6 (IC à 95 % 1,2 à 2,1) ; NNN 4,2 (IC à 95 % de 2,8 à 8,3)). Les abandons en raison d'événements indésirables étaient plus fréquents avec le tramadol (16 %) par rapport au placebo (3 %) (6 études, 485 participants, 45 événements ; RR 4,1 (IC à 95 % 2,0 à 8,4) ; NNN 8,2 (IC à 95 % de 5,8 à 14)). Seuls quatre événements indésirables graves ont été rapportés, sans lien évident à un traitement ou à un autre, et aucun décès n'a été signalé. Nous avons rabaissé la qualité des preuves pour ce critère de jugement de deux ou trois niveaux jusqu'à une qualité faible ou très faible en raison de la petite taille des études, parce qu'il y avait peu d'événements, et en raison de la courte durée des études.
Traduction réalisée par Martin Vuillème et révisée par Cochrane France