Contexte
La violence exercée par un conjoint envers l'autre (violence conjugale) est fréquente dans le monde entier. Elle englobe les abus physiques, affectifs, et sexuels, les menaces, et le contrôle de l'argent appartenant à l'autre ; ce qui mène à des blessures et à des problèmes de santé physiques et émotionnels de longue durée. Le soutien actif par des personnes entraînées (advocacy) pourrait aider les femmes à préparer des plans pour se mettre en sécurité, à affronter les abus et à accéder aux ressources communautaires.
Les preuves sur les effets des actions de soutien permettront d'aider la planification et l'offre de ces services.
Méthode
Nous avons effectué des recherches dans la littérature scientifique mondiale jusqu'en avril 2015 pour identifier les essais cliniques comparant des actions de soutien pour les femmes maltraitées à l'absence de soins ou aux soins habituels, pour mieux comprendre si ces actions sont sûres et efficaces. Nous avons trouvé 13 essais menés dans plusieurs pays, impliquant 2141 femmes provenant de divers groupes ethniques, âgées de 15 à 65 ans et souvent pauvres.
Les études variaient en termes de durée du soutien (de 30 minutes à 80 heures) et de personnel impliqué (étudiants, infirmiers, professionnels du soutien, psychologues, travailleurs sociaux, travailleurs en santé communautaire, mères dans des cliniques prénatales ou chercheurs). Onze études ont mesuré la maltraitance, six ont évalué la qualité de vie, et six ont mesuré la dépression. Trois ont pris en compte à la fois le soutien et de l'aide psychiatrique. La plupart des études ont suivi les femmes pendant au moins un an.
Les études ont recruté des femmes dans des établissements de santé, des refuges/foyers en cas de violences conjugales, et des centres communautaires. Les actions de courte durée (jusqu'à 12 heures) étaient plus fréquentes dans les établissements de santé et les actions intensives (plus de 12 heures) étaient plus fréquentes dans d'autres contextes.
Principaux résultats
Qualité des preuves
Cinq études présentaient des défauts dans leur conception qui ont entrainé un risque élevé de déformer leurs résultats, cinq études étaient à risque modéré et trois études présentaient un faible risque.
L'abus physique
Après un an, les actions brèves n'ont pas eu d'effet dans deux études de qualité modérée dans des établissements de soins ou dans une étude à faible risque de biais dans une communauté, mais ces actions ont réduit les abus mineurs dans une autre étude dans une clinique de soins prénataux (à faible risque de biais). Une autre étude dans une clinique de soins prénataux a montré une réduction des abus immédiatement après une brève action (avec une femme susceptible d'obtenir un bénéfice si huit reçoivent un soutien), mais les femmes ont également été traitées pour la dépression, ce qui peut avoir affecté les résultats. Deux études ont fourni des preuves limitées indiquant que des actions intensives réduisent les abus physiques jusqu'à deux ans après l'intervention (avec une femme sur huit susceptible d'obtenir un bénéfice).
Les abus sexuels
Quatre études n'ont pas réussi à démontrer de bénéfices du soutien quant aux abus sexuels.
Les abus émotionnels
Une étude dans une clinique prénatale (à faible risque de biais) rapportait une réduction des abus émotionnels au bout de 12 mois après le soutien.
La dépression
Des actions brèves prévenaient la dépression chez les femmes battues fréquentant des services de santé et chez les femmes enceintes immédiatement après les actions (avec une femme susceptible d'obtenir un bénéfice pour quatre à huit traitées). Les actions intensives n'ont pas réduit la dépression chez les femmes vivant dans des foyers lors d'un suivi à 12 et 24 mois. Les preuves de qualité faible à modérée provenaient principalement d'études présentant un faible risque de biais.
La qualité de vie
Trois essais de soutien bref n'ont montré aucun bénéfice sur la qualité de vie. Les actions intensives ont montré un léger bénéfice dans deux études dans des foyers/refuges en cas de violence conjugale. Une étude de soins primaires (à risque de biais élevé) a montré une amélioration de la motivation à réaliser les tâches quotidiennes immédiatement après les actions.
Les décès
Deux femmes sont décédées : l'une d'entre elles a été assassinée par son partenaire et l'autre s'est suicidée ; cependant, les investigateurs n'ont pas considéré que ces décès étaient liés aux études.
Conclusions
Les actions de soutien intensif peuvent améliorer la vie quotidienne pour les femmes dans des foyers/refuges lors de violences conjugales à court terme et réduire les abus physiques un à deux ans après l'intervention. Il n'existe aucune preuve probante que des actions intensives réduisent les abus sexuels, émotionnels, ou les abus en général ou qu'elles mènent à des bénéfices sur la santé mentale des femmes. Il est difficile de savoir si des actions brèves (essentiellement administrées dans des établissements de santé) sont efficaces, bien que celles-ci puissent apporter des bénéfices sur la santé mentale à court terme et réduire les abus, en particulier chez les femmes enceintes et chez celles victimes d'abus moins graves.
Nous avons considéré les résultats de plusieurs études comme étant potentiellement déformés en raison de la conception limitée des études. Il y avait peu de cohérence entre les études, avec des variations dans la quantité de soutien offert, le type de bénéfices mesurés, et la durée des périodes de suivi. En conséquence, il a été difficile de combiner leurs résultats, et nous ne pouvons donc pas être certains quant à l'ampleur des bénéfices des interventions de soutien pour les femmes ou l'impact du type de soutien, de l'endroit où celui-ci était offert, ou de la gravité de l'abus vécu par les femmes recevant l'intervention.
Les résultats suggèrent certains bénéfices issus des actions de soutien. Cependant, la plupart des études n'avaient pas une puissance statistique suffisante. L'hétérogénéité clinique et méthodologique a en grande partie empêché la combinaison des essais. Par conséquent, il existe une incertitude quant à l'ampleur du bénéfice, l'impact de la gravité des abus et du contexte.
En se basant sur les preuves examinées, des actions de soutien intensif à court terme peuvent améliorer la qualité de vie et réduire les abus physiques un à deux ans après l'intervention pour les femmes recrutées à partir de foyers et refuges de protection en cas de violences conjugales. Les actions brèves pourraient apporter des bénéfices sur la santé mentale à court terme et réduire les abus, en particulier chez les femmes enceintes et pour les abus de plus faible gravité.
La violence dans la relation intime est courante dans le monde, et mène à des préjudices physiques, mentaux, émotionnels et sur la santé à court et à long terme chez les survivants et les enfants. Des actions pourraient contribuer à réduire les abus, à soutenir les femmes à améliorer leur situation en fournissant des conseils et un soutien informel pour réaliser un plan de mise en sécurité et augmenter l'accès à différents services. Ces actions peuvent être un service unique, l'acceptation de consultations par un professionnel de la santé, ou faire partie d'une intervention à multiples composantes (et éventuellement multiples agences) offerte par le personnel de service ou d'autres personnes.
Évaluer les effets des interventions de soutien à l'intérieur ou à l'extérieur de contextes de soins chez les femmes ayant vécu des violences conjugales.
En avril 2015, nous avons effectué des recherches dans CENTRAL, Ovid MEDLINE, EMBASE, et 10 autres bases de données. Nous avons également effectué des recherches dans l'ICTRP de l'OMS, mRCT et le UK Clinical Research Network (UKCRN), et examiné les sites Web pertinents et les références bibliographiques avec une recherche rétrospective des références citées dans les études incluses. Pour la revue initiale, nous avons consulté six journaux clés. Nous avons également contacté les principaux auteurs des articles éligibles et des experts dans le domaine.
Les essais contrôlés randomisés ou quasi-randomisés comparant des interventions de soutien pour les femmes ayant vécu des abus causés par leur partenaire par rapport à l'absence d'intervention ou à des soins habituels (lorsque le soutien était limité et que moins de 20 % des femmes l'ont reçu).
Deux auteurs de la revue ont indépendamment évalué le risque de biais et extrait les données. Nous avons contacté les auteurs afin d'obtenir des informations nécessaires pour calculer les statistiques pour la revue et nous avons recherché les événements indésirables.
Nous avons inclus 13 essais portant sur 2141 participantes âgées de 15 à 65 ans, et présentant fréquemment un faible statut socio-économique.
Les études étaient très hétérogènes en termes de méthodologie, de plan d'étude et de processus, notamment en ce qui concerne la durée du suivi (à partir de la fin des interventions jusqu'à trois ans), mais cela n'était pas associé à des différences en termes d'effet. Les études présentaient également une hétérogénéité clinique considérable en lien avec le personnel dispensant les actions, l'environnement (communauté, abri, clinique prénatale, établissements de soins), l'intensité des actions (allant de 30 minutes à 80 heures) et la gravité des abus. Trois essais ont évalué des actions faisant partie d'interventions à composantes multiples. Onze ont mesuré une certaine forme d'abus (huit échelles), six ont évalué la qualité de vie (trois échelles), et six ont mesuré la dépression (trois échelles). Les pays et les groupes ethniques variaient (avec un ou plusieurs groupes ethniques minoritaires aux États-Unis ou au Royaume-Uni, et des populations locales à Hong-Kong et au Pérou). Le contexte était associé à l'intensité et à la durée des actions de soutien.
Le risque de biais était élevé dans cinq études, modéré dans cinq, et faible dans trois. La qualité des preuves (compte tenu de multiples facteurs tels que le risque de biais, la taille des études, les données manquantes) était faible à modérée pour les actions brèves et très faible pour les actions de soutien intensif.
L'incidence des abus
L'abus physique
Le regroupement des données de qualité moyenne issues de deux études dans des établissements de santé (à risque de biais modéré) et d'une étude en communauté (à faible risque de biais), toutes avec des données de suivi sur 12 mois, n'ont montré aucun effet sur la violence physique pour les actions brèves (< 12 heures) (différence moyenne standardisée (DMS) 0,00, intervalle de confiance à 95 % (IC) -0,17 à 0,16 ; n = 558). Une étude en clinique prénatale (à faible risque de biais) a montré une association entre des actions brèves et une réduction des abus physiques mineurs à un an (différence moyenne (DM) de -1,00, IC à 95 % -1,82 à -0,18 ; n = 110). Une étude à composantes multiples dans une clinique prénatale a montré une plus grande probabilité que les abus physiques s'arrêtent (rapport des cotes (RC) 0,42, IC à 95 % de 0,23 à 0,75) immédiatement après des actions (nombre de sujets à traiter (NST) = 8) ; nous ne pouvons pas exclure l'impact issu des autres composants.
Des preuves de qualité faible à très faible provenant de deux essais sur les actions intensives (d'une durée de 12 heures ou plus) ont montré une réduction des abus physiques sévères chez les femmes quittant un foyer à 24 mois (RC 0,39, IC à 95 % 0,20 à 0,77 ; NST = 8), mais pas à 12 ou 36 mois.
Les abus sexuels
La méta-analyse de deux études (n = 239) n'a montré aucun effet des actions sur les abus sexuels (DMS -0,12, IC à 95 % -0,37 à 0,14), ce qui était en accord avec le changement du score (DM -0,07, IC à 95 % -0,30 à 0,16) mesuré dans une troisième étude et les RC (0,96, IC à 95 % de 0,44 à 2,12) provenant d'une quatrième étude à composantes multiples dans une clinique prénatale.
Les abus émotionnels
Une étude dans une clinique prénatale, considérée comme étant à faible risque de biais, a montré une réduction des abus émotionnels à ≤ 12 mois de suivi (DM (changement du score) -4,24, IC à 95 % -6,42 à -2,06 ; n = 110).
La santé psychosociale
La qualité de vie
La méta-analyse de deux études (à risque de biais élevé) a montré que les actions intensives ont légèrement amélioré la qualité de vie globale des femmes recrutées dans des foyers (DM 0,23, IC à 95 % 0,00 à 0,46 ; n = 343) lors du suivi à 12 mois, avec une plus grande amélioration de la qualité de vie physique perçue issue d'une étude en soins primaires (risque élevé de biais ; DM 4,90, IC à 95 % de 0,98 à 8,82) immédiatement suite aux interventions.
La dépression
La méta-analyse de deux études dans des établissements de santé, dont l'une présentait un risque de biais élevé et l'autre un risque modéré, a montré que moins de femmes avaient développé une dépression (RC 0,31, IC à 95 % 0,15 à 0,65 ; n = 149 ; NST = 4) avec des actions brèves. Une étude à risque élevé de biais a signalé une légère réduction de la dépression chez les femmes enceintes immédiatement après l'intervention (RC 0,51, IC à 95 % 0,20 à 1,29 ; n = 103 ; NST = 8).
Il n'y avait aucune preuve que des actions intensives réduisaient la dépression à ≤ 12 mois de suivi (DM -0,14, IC à 95 % -0,33 à 0,05 ; 3 études ; n = 446) ou à deux ans (DMS −0,12, IC à 95 % −0,36 à 0,12 ; 1 étude ; n = 265).
Les effets indésirables
Deux femmes sont décédées, la première a été assassinée par son partenaire et la seconde s'est suicidée. Il n'y avait aucune preuve mettant en lien les décès à la participation aux études.
Traduction réalisée par Martin Vuillème et révisée par Cochrane France