Antagonistes mu-opioïdes pour la dysfonction intestinale due aux opioïdes chez les personnes atteintes de cancer et les personnes recevant des soins palliatifs

Contexte

Les opioïdes (médicaments semblables à la morphine) sont utilisés pour traiter les douleurs intenses, mais ils pourraient provoquer des dysfonctionnements intestinaux, notamment la constipation, une évacuation incomplète des intestins, des ballonnements et une augmentation du reflux (retour) du contenu de l'estomac dans l'œsophage (tube alimentaire). En effet, les récepteurs des opioïdes se trouvent dans l'intestin. Le dysfonctionnement intestinal induit par les opioïdes pourrait être si grave que les personnes choisissent de limiter le soulagement de la douleur pour améliorer le fonctionnement intestinal. Le dysfonctionnement intestinal induit par les opioïdes est fréquent chez les personnes atteintes d'un cancer et celles qui reçoivent des soins palliatifs (lorsqu'une guérison n'est plus possible). Les laxatifs sont souvent le traitement de premier choix pour les dysfonctionnements intestinaux induits par les opioïdes. Cependant, ils ne fonctionneraient pas toujours. Les antagonistes mu-opioïdes sont des médicaments spécifiques pour le dysfonctionnement intestinal induit par les opioïdes qui ont été développés pour aider à réduire l'effet des opioïdes (dans l'intestin). Un effet secondaire possible de ce traitement est toutefois la réduction du soulagement de la douleur.

Caractéristiques des essais

L'objectif de cette revue actualisée était de déterminer ce que nous savons de l'efficacité et de la sécurité des antagonistes mu-opioïdes (AMO) pour la prise en charge des dysfonctionnements intestinaux induits par les opioïdes chez les personnes atteintes de cancer ou recevant des soins palliatifs. Nous n'avons inclus que des essais contrôlés randomisés car ils fournissent les données probantes les plus fiables. Les essais contrôlés randomisés sont un type d'étude où des personnes sont réparties au hasard dans des groupes pour tester des interventions, des traitements ou des médicaments. Cela signifie qu'un individu a la même chance de bénéficier de chaque intervention, traitement ou médicament.

Nous avons trouvé des essais qui évaluaient les antagonistes mu-opioïdes la naldémédine, la méthylnaltrexone et la naloxone. Les groupes de comparaison de l'essai peuvent être un placebo (substance sans effet actif connu), les soins usuels, l'antagoniste mu-opioïde à une dose différente, ou en association avec d'autres médicaments ou un autre traitement tel qu'un antagoniste mu-opioïde différent.

Principaux résultats

Notre recherche jusqu'au 20 décembre 2021 a trouvé 10 essais impliquant 1343 adultes. Les antagonistes mu-opioïdes évalués chez les personnes atteintes de cancer étaient la naldémédine par voie orale et la naloxone prise en association avec un traitement opioïde (pour la douleur). L'autre antagoniste mu-opioïde évalué dans les essais était la méthylnaltrexone. Il a été administré par injection et évalué dans le cadre de soins palliatifs où la plupart des participants avaient un cancer avancé.

La naldémédine ou la méthylnaltrexone ont été comparés à un placebo. La naloxone a été comparée à un placebo ou à un traitement opioïde uniquement.

Le niveau de confiance global (ou de certitude) que nous accordons aux données probantes est très faible à modéré (très incertain à assez certain). Il y a eu des problèmes dans la conception des études, y compris quant à la sous-déclaration des méthodes d'essai.

Les selles

Dans les deux semaines suivant un traitement à la naldémédine ou à la méthylnaltrexone, les selles augmentent probablement (données probantes d’un niveau de confiance modéré) ; les essais n'ont pas mesuré les effets de la naloxone dans les deux semaines. Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance faible suggérant que les patients trouvaient que la naloxone prise avec un traitement opioïde et la méthylnaltrexone amélioraient leurs symptômes de constipation. Les essais sur la naldémédine n'ont pas mesuré l'évaluation par les patients de l'amélioration des symptômes de la constipation.

Soulagement de la douleur

Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance faible suggérant l'absence d'effet de la naloxone en association avec un opioïde ou de la méthylnaltrexone sur le traitement du soulagement de la douleur. Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance faible suggérant que la naldémédine n'a pas changé le traitement du soulagement de la douleur.

Risque d'effets secondaires graves (par exemple, hospitalisation, mise en danger du pronostic vital ou décès) et autres effets secondaires.

Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance faible suggérant que la naldémédine ou la méthylnaltrexone n'entraînaient pas une augmentation du risque d'effets secondaires graves. Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance faible suggérant que la naloxone en association avec un opioïde n'augmente pas le risque d'effets secondaires graves (effet indésirable).

La naldémédine n'a probablement pas augmenté le risque d'autres effets secondaires non graves (données probantes d’un niveau de confiance modéré). Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance faible suggérant que la naloxone prise en même temps qu'un traitement opioïde n'entraîne pas d'augmentation du risque d'un effet secondaire. Pour la méthylnaltrexone, la confiance dans les données probantes qu'il n'augmente pas le risque d'effet secondaire est faible.

Conclusion

Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance modéré suggérant que la naldémédine prise par voie orale améliorait la fonction intestinale en deux semaines chez les adultes atteints de cancer et de dysfonctionnement intestinal induit par les opioïdes mais augmentait le risque d'effets secondaires, et que la méthylnaltrexone prise en injection améliorait la fonction intestinale sur deux semaines chez les personnes recevant des soins palliatifs. Les résultats de cette revue doivent être interprétés avec prudence car ils n'ont pas été obtenus à partir de données probantes d’un niveau de confiance élevé. Les évaluations des critères de jugement étaient limitées, en particulier tous les essais n'ont pas mesuré l'évaluation par le patient de l'amélioration des selles. Il n'y a pas eu d'essais chez les enfants.

Conclusions des auteurs: 

Les résultats de cette mise à jour pour la naldémédine et la naloxone avec l'oxycodone ont été renforcés par deux nouveaux essais, mais les conclusions n'ont pas changé. Des données probantes d’un niveau de confiance modéré pour la naldémédine par voie orale sur le risque de laxations spontanées et d'EI (événements indésirables) non graves suggèrent chez les personnes atteintes de cancer que la naldémédine pourrait améliorer la fonction intestinale sur deux semaines et augmenter le risque d'EI. Il y avait des données probantes d’un niveau de confiance faible concernant les EI graves. Des données probantes d’un niveau de confiance modéré pour la méthylnaltrexone sur les laxations spontanées sur deux semaines suggèrent que la méthylnaltrexone sous-cutanée pourrait améliorer la fonction intestinale chez les personnes recevant des soins palliatifs, mais le niveau de confiance des données probantes pour les EI était faible. D'autres essais sont nécessaires, ainsi qu'une évaluation plus poussée des effets indésirables, des critères de jugement jugés importants par les patients, et chez les enfants.

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Contexte: 

La dysfonction intestinale induite par les opioïdes (DIOI) se caractérise par une constipation, une évacuation incomplète des intestins, des ballonnements et des reflux gastriques. C'est l'un des principaux événements indésirables (EI) du traitement de la douleur dans le domaine du cancer et des soins palliatifs, qui entraîne une morbidité accrue et une diminution de la qualité de vie.

Cette revue est une mise à jour partielle d'une revue de 2008, et critique comme la mise à jour précédente (2018) les essais portant uniquement sur les personnes atteintes de cancer et les personnes recevant des soins palliatifs.

Objectifs: 

Évaluer l'efficacité et la tolérance des antagonistes mu-opioïdes (AMO) par rapport à différentes doses d'AMO, à d'autres interventions pharmacologiques/non pharmacologiques, à un placebo ou à l'absence de traitement, dans le cas de la DIOI chez les personnes atteintes de cancer et les personnes recevant des soins palliatifs.

Stratégie de recherche documentaire: 

Nous avons effectué des recherches dans CENTRAL, MEDLINE, Embase, CINAHL et Web of Science (décembre 2021), dans les registres d'essais cliniques et sur les sites Web des organismes de réglementation. Nous avons cherché à contacter les fabricants d’AMO pour obtenir des données supplémentaires.

Critères de sélection: 

Essais contrôlés randomisés (ECR) évaluant l'efficacité et la tolérance des AMO pour la DIOI chez les personnes atteintes de cancer et les personnes en soins palliatifs, quel que soit le type de maladie terminale.

Recueil et analyse des données: 

Deux auteurs de la revue ont évalué le risque de biais et ont extrait les données. Combiner les données des essais était justifié si les essais étaient suffisamment homogènes. Nos critères de jugement principaux étaient la réponse à la laxation, l'effet sur l'analgésie et les EI. Nous avons évalué le niveau de confiance des données probantes en utilisant GRADE et avons créé des tableaux récapitulatifs de résultats.

Résultats principaux: 

Nous avons inclus 10 études (deux nouveaux essais) randomisant au total 1343 adultes atteints d'un cancer, quel que soit son stade, ou au stade des soins palliatifs de toute maladie. Les AMO étaient la naldémédine et la naloxone par voie orale (seules ou en association avec l'oxycodone), et la méthylnaltrexone par voie sous-cutanée. Les essais ont comparé les AMO avec un placebo, les AMO à différentes doses, ou en association avec d'autres médicaments. Deux essais sur la naldémédine et trois sur la naloxone et l'oxycodone ont été menés auprès de personnes atteintes de cancer, quel que soit le stade de la maladie. L'essai sur la naloxone seule a été mené chez des personnes atteintes d'un cancer à un stade avancé. Quatre essais sur la méthylnaltrexone portaient sur les soins palliatifs où la plupart des participants avaient un cancer avancé. Tous les essais étaient vulnérables aux biais ; le plus souvent, la mise en aveugle de l'évaluateur des critères de jugement n'était pas rapportée.

La naldémédine par voie orale par rapport au placebo

Le risque (c'est-à-dire la probabilité) de laxations spontanées à moyen terme (plus de deux semaines) pour la naldémédine était plus de trois fois supérieur : risque relatif (RR) 2,00, intervalle de confiance (IC) à 95 % 1,59 à 2,52, 2 essais, 418 participants, I² = 0 %. Nombre de sujets à traiter (NST) pour un résultat bénéfique supplémentaire 3, IC à 95 % 3 à 4 ; données probantes d’un niveau de confiance modéré). Le risque de laxations spontanées et l'évaluation par le patient des changements intestinaux n'ont pas été rapportés. Des données probantes d’un niveau de confiance très faible ont montré que la naldémédine avait peu ou pas d'effet sur les symptômes de sevrage des opioïdes. Il n'y avait que peu ou pas de différence dans le risque d'EI graves (non mortels) (RR 3,34, IC à 95 % 0,85 à 13,15 : données probantes d’un niveau de confiance faible). Il a été rapporté que le risque d'EI (non graves) était plus de deux fois supérieur avec la naldemedine (données probantes d’un niveau de confiance modéré).

La naldémédine par voie orale à faible dose par rapport à une dose plus élevée

Le risque de laxations spontanées était plus faible pour la dose la plus faible (à moyen terme, 0,1 mg contre 0,4 mg : RR 0,69, IC à 95 % 0,53 à 0,89, 1 essai, 111 participants (données probantes d’un niveau de confiance faible)). Le risque plus précoce de laxations spontanées et l'évaluation par le patient des changements intestinaux n'ont pas été rapportés. Les données probantes d’un niveau de confiance faible ont montré qu'il y avait peu ou pas de différence sur les symptômes de sevrage des opioïdes (0,1 mg contre 0,4 mg, différence de moyennes (DM) -0,30, IC à 95 % -0,85 à 0,25) et sur la survenue d'EI graves (0,1 mg contre 0,4 mg, RR 0,25, IC à 95 % 0,03 à 2,17). Des données probantes d’un niveau de confiance faible ont montré peu ou pas de différence sur les EI non graves.

La naloxone par voie orale par rapport au placebo

Le risque de laxations spontanées et d'EI n’a pas été rapporté. Peu ou pas de différence dans l'intensité de la douleur (données probantes d’un niveau de confiance très faible). Données complètes non communiquées. L'essai a rapporté qu'aucun événement indésirable grave n'est survenu.

La naloxone par voie orale associée à l’oxycodone par rapport à l’oxycodone

Le risque de laxations spontanées dans les 24 heures et à moyen terme n’a pas été rapporté. Des données probantes d’un niveau de confiance faible ont montré que la naloxone associée à l'oxycodone réduisait le risque de symptômes de sevrage des opioïdes. Il n'y avait que peu ou pas de différence dans le risque d'EI graves (non mortels) (RR 0,68, IC à 95 % 0,44 à 1,06), 3 essais, 362 participants, I² = 55 % : données probantes d’un niveau de confiance très faible). Il y avait peu ou pas de différence dans le risque d'EI (données probantes d’un niveau de confiance faible).

La méthylnaltrexone sous-cutané par rapport au placebo

Le risque de laxations spontanées dans les 24 heures sous méthylnaltrexone était quatre fois plus élevé que sous placebo (RR 2,97, IC à 95 % 2,13 à 4,13. 2 essais, 287 participants, I² = 31 %. NST pour un résultat bénéfique supplémentaire 3, IC à 95 % 2 à 3 ; données probantes d’un niveau de confiance faible). Le risque de laxations spontanées à moyen terme était plus de dix fois supérieur avec la méthylnaltrexone (RR 8,15, IC à 95 % 4,76 à 13,95, 2 essais, 305 participants, I² = 47 %. NST pour un résultat bénéfique supplémentaire 2, IC à 95 % 2 à 2 ; données probantes d’un niveau de confiance modéré). Des données probantes d’un niveau de confiance faible ont montré que la méthylnaltrexone réduisait le risque de symptômes de sevrage des opioïdes et n'augmentait pas le risque d'EI grave (RR 0,59, IC à 95 % 0,38 à 0,93). I² = 0 % ; 2 essais, 364 participants). Le risque d'EI était plus élevé pour la méthylnaltrexone (données probantes d’un niveau de confiance faible).

La méthylnaltrexone sous-cutané à faible dose par rapport à une dose plus élevée

Il y avait peu ou pas de différence dans le risque de laxations spontanées à moyen terme (1 mg contre 5 mg ou plus : RR 2,91, IC à 95 % 0,82 à 10,39 ; 1 essai, 26 participants ; données probantes d’un niveau de confiance très faible), ou dans l'évaluation par le patient de l'amélioration de l'état des intestins (RR 0,98, IC à 95 % 0,71 à 1,35, 1 essai, 102 participants ; données probantes d’un niveau de confiance faible). L’évaluation à moyen terme des laxations spontanées et des effets indésirables graves n’a pas été rapportée. Il y avait peu ou pas de différence dans les symptômes de sevrage des opioïdes (DM -0,25, IC à 95 % -0,84 à 0,34, 1 essai, 102 participants) ou dans la survenue d'EI (données probantes d’un niveau de confiance faible).

Notes de traduction: 

Post-édition effectuée par Hussein Ayoub et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr

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