Quelle est la problématique ?
Une fausse couche est la mort spontanée et/ou l'expulsion d'un embryon ou d'un fœtus de l'utérus avant qu'il ne soit capable de survivre seul. Cette mort naturelle d'un embryon ou d'un fœtus ("interruption spontanée d’une grossesse" ou "mort fœtale in utero", selon la durée de la grossesse) peut être identifiée par échographie avant l'apparition de symptômes comme la perte de sang et la douleur abdominale. Parfois, un embryon ne s'est même pas développé (" œuf clair "). Dans le passé, le traitement d'un embryon ou d'un fœtus décédé se faisait habituellement par dilatation et curetage (D&C), mais des médicaments ont maintenant été développés pour remplacer le recours à la chirurgie, ce qui pourrait être utile pour l'expulsion. Le misoprostol et le gemeprost sont des analogues synthétiques de la prostaglandine E qui peuvent stimuler l'expulsion de l'embryon ou du fœtus de l'utérus. La mifépristone bloque l'activité de la progestérone, une hormone qui permet le maintien de la grossesse. Ces médicaments, ainsi que d'autres similaires, peuvent être utiles pour provoquer l'expulsion chez les femmes ayant une interruption spontanée de la grossesse et peuvent être utilisés jusqu’à 24 semaines d’aménorrhée.
L’absence d’intervention dans l'attente d'une expulsion spontanée reste également possible. Les femmes qui conservent l'embryon ou le fœtus décédé peuvent subir des hémorragies sévères ou développer une infection utérine. Ces complications restent cependant rares. Par contre, des effets secondaires gastro-intestinaux tels que les nausées, diarrhées, crampes, douleurs abdominales et fièvre ont été rapportés avec le misoprostol.
Pourquoi est-ce important ?
Le traitement chirurgical présente l'inconvénient de nécessiter une anesthésie. Il comporte des risques de lésions au niveau de l'utérus ou du col de l'utérus, tout comme l’éventualité de développement d’un tissu fibreux dans la paroi interne de l'utérus. Ceux-ci peuvent être évités si l’interruption spontanée de la grossesse est traitée avec des médicaments ou si la femme est capable d'attendre une expulsion spontanée.
Nous avons entrepris de déterminer si le traitement médical est aussi bon ou meilleur que le traitement chirurgical ou l’attente sous surveillance (en attendant que l'expulsion ait lieu). De plus, nous avons comparé différentes doses et voies d'administration afin de détecter le régime qui induit le plus souvent une fausse couche complète avec le moins d'effets secondaires possible.
Quelles données probantes avons-nous trouvées ?
Pour cette revue actualisée, 43 essais cliniques randomisés impliquant 4966 femmes avec interruption spontanée de la grossesse à moins de 24 semaines d’aménorrhée ont été inclus. Les principaux traitements administrés étaient le misoprostol par voie vaginale, sublinguale, orale et buccale, la mifépristone et le gemeprost par voie vaginale. Ceux-ci ont été comparés à la prise en charge chirurgicale, à l’attente sous surveillance ou à un placebo; ou bien différents types d'interventions médicales ont été comparés entre eux. Quatorze comparaisons n'ont fait l'objet que d'un seul essai. Le risque de biais variait d'une étude à l'autre. La qualité des preuves variait de très faible à faible pour la plupart des comparaisons.
Le misoprostol par voie vaginale pourrait accélérer la fausse couche par rapport au placebo, mais n'a pas eu d'effet sur les taux de nausées, de diarrhées ou sur la satisfaction des femmes quant à l'acceptabilité de la méthode. Il n'est pas certain que le misoprostol par voie vaginale, par comparaison au placebo, réduise les pertes sanguines ou la douleur parce que la qualité des preuves à l'appui de ces critères de jugement s'est avérée très faible.
Le misoprostol par voie vaginale a été moins efficace pour l’accomplissement d’une fausse couche complète que la prise en charge chirurgicale et pourrait être associé à plus de nausées et de diarrhées. Le misoprostol par voie vaginale a présenté peu de différence pour l'infection pelvienne, la perte sanguine, la douleur ou la satisfaction/acceptabilité de la méthode chez les femmes, comparativement à la prise en charge chirurgicale.
Il y avait peu de différence entre les différentes voies d'administration du misoprostol lorsque les essais ont comparé la voie vaginale avec la voie sublinguale ou entre le misoprostol par voie orale et vaginale. Des études individuelles ont montré que la mifépristone est plus efficace que le placebo et que le misoprostol par voie vaginale est plus efficace que l’attente sous surveillance. Toutefois, la qualité de ces preuves s'est révélée très faible et nous ne sommes donc pas convaincus de ces conclusions. La mifépristone n'a pas semblé procurer des avantages supplémentaires lorsqu'elle a été rajoutée au misoprostol.
Qu’est-ce que cela signifie?
L'utilisation du misoprostol comme alternative au traitement chirurgical peut diminuer le recours à la chirurgie pour les femmes avec une mort fœtale précoce. L'utilisation du misoprostol peut avoir certains effets secondaires comme des nausées et des diarrhées, mais les risques d’hémorragie sévère ou d'infection pelvienne n'étaient pas plus élevés, en comparaison avec la prise en charge chirurgicale ou l’attente sous surveillance. Des recherches supplémentaires sont requises sur les posologies des médicaments, les voies d'administration et les effets indésirables potentiels, y compris l’impact sur la fertilité ultérieure, et également les points de vue des femmes sur le traitement médicamenteux, la chirurgie et l'attente de la fausse couche spontanée.
Les preuves provenant d'essais randomisés suggèrent que le traitement médical via le misoprostol par voie vaginale pourrait être une alternative acceptable à l'évacuation chirurgicale ou à l’attente sous surveillance. En général, les effets secondaires du traitement médical étaient mineurs et consistaient principalement en nausées et diarrhées. Il n'y avait pas de différences majeures dans l'efficacité entre les différentes voies d'administration. La satisfaction à l'égard du traitement n'a été abordée que dans quelques études, dans lesquelles la majorité des femmes étaient satisfaites de l'intervention reçue. Étant donné que la qualité des preuves est faible ou très faible pour plusieurs comparaisons, principalement parce qu'elles ne comprennent qu'un ou deux (petits) essais cliniques, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer l'efficacité, l'innocuité et les effets secondaires, la voie d'administration optimale ainsi que la posologie des différents traitements médicaux pour un décès fœtal précoce.
Dans la plupart des grossesses qui se terminent en fausse couche, l'arrêt du développement embryonnaire ou fœtal précède l’interruption de la grossesse, souvent de quelques semaines. Une échographie peut révéler des anomalies au cours de cette phase en démontrant des grossesses anembryonnaires ou un décès embryonnaire ou fœtal. La prise en charge a traditionnellement été chirurgicale, toutefois, les traitements médicaux pourraient être efficaces, sûrs et acceptables, tout comme l'attente d'une fausse couche spontanée. Il s'agit d'une mise à jour d'une revue publiée pour la première fois en 2006.
Évaluer, à partir d'essais cliniques, l'efficacité et l'innocuité de différents traitements médicaux pour l'interruption spontanée d’une grossesse.
Pour cette mise à jour, nous avons fait une recherche dans le registre Cochrane des essais pour la grossesse et l’accouchement, ClinicalTrials.gov, la plateforme du registre international de l’OMS pour les essais cliniques (ICTRP) (24 octobre 2018), ainsi que des listes de référence des études extraites.
Les essais randomisés comparant un traitement médical avec un autre traitement (par ex. évacuation chirurgicale), ou un placebo, ou aucun traitement en cas d'un échec d'une grossesse précoce. Les études quasi-randomisées ont été exclues. Les essais randomisés en grappes étaient éligibles à l'inclusion, tout comme les études présentées sous forme de résumé, si l'information disponible était suffisante pour évaluer éligibilité.
Deux auteurs de la revue ont évalué de façon indépendante l’inclusion et le risque de biais des essais, puis ont extrait les données et vérifié leur exactitude. Nous avons évalué la qualité des preuves à l'aide de l’approche GRADE.
Quarante-trois études (4966 femmes) ont été incluses. Les principaux traitements administrés étaient le misoprostol par voie vaginale, sublinguale, orale et buccale, la mifépristone et le gemeprost par voie vaginale. Ceux-ci ont été comparés à la prise en charge chirurgicale, à l’attente sous surveillance ou à un placebo; ou bien différents types d'interventions médicales ont été comparés entre eux. La revue comprend une grande variété d'interventions différentes qui ont été analysées à travers 23 comparaisons différentes. Plusieurs comparaisons consistent en des études uniques. Nous avons limité l'évaluation de la qualité des preuves à deux comparaisons principales : misoprostol par voie vaginale contre placebo et misoprostol par voie vaginale contre évacuation chirurgicale de l'utérus. Le risque de biais variait considérablement d'un essai à l'autre. La qualité des preuves variait d'une comparaison à l'autre, mais elle s'est surtout révélée très faible ou faible.
Misoprostol par voie vaginale contre placebo
Le misoprostol vaginal peut accélérer la fausse couche par rapport au placebo : par exemple, fausse couche complète (5 essais, 305 femmes, rapport de risque (RR) 4,23, intervalle de confiance (IC) à 95 % 3,01 à 5,94 ; preuves de faible qualité). Aucun essai n'a porté sur le taux d'infection pelvienne pour cette comparaison. Le misoprostol vaginal a eu peu d'effet sur les taux de nausées (2 essais, 88 femmes, RR 1,38, IC à 95 % 0,43 à 4,40 ; preuves de faible qualité), de diarrhée (2 essais, 88 femmes, RR 2,21, IC à 95 % 0,35 à 14,06 ; preuves de faible qualité) ou sur la satisfaction des femmes quant à l’acceptabilité de la méthode (1 essai, 32 femmes, RR 1,17, IC à 95 % 0,83 à 1,64 ; preuves de faible qualité). On ne sait pas si le misoprostol par voie vaginale réduit les pertes sanguines (différence d'hémoglobine > 10 g/L) (1 essai, 50 femmes, RR 1,25, IC à 95 % 0,38 à 4,12 ; très faible qualité) ou la douleur (consommation d'opiacés) (1 essai, 84 femmes, RR 5,00, IC à 95 % 0,25 à 101,11 ; très faible qualité), parce que la qualité des preuves obtenues pour ces complications est très faible.
Misoprostol par voie vaginale contre évacuation chirurgicale
Le misoprostol par voie vaginale peut être moins efficace pour réaliser une fausse couche complète que la prise en charge chirurgicale (6 essais, 943 femmes, RR moyen 0,40, IC à 95 % 0,32 à 0,50 ; hétérogénéité : Tau² = 0,03, I² = 46 % ; preuves de faible qualité) et peuvent être associés à plus de nausées (1 essai, 154 femmes, RR 21,85, IC 95 % 1,31 à 364,37 ; preuves de faible qualité) et de diarrhées (1 essai, 154 femmes, RR 40,85, IC 95 % 2,52 à 662,57 ; preuves de faible qualité). Il peut y avoir peu ou pas de différence entre le misoprostol vaginal et l'évacuation chirurgicale pour l'infection pelvienne (1 essai, 618 femmes, RR 0,73, IC à 95 % 0,39 à 1,37 ; preuves de faible qualité), la perte de sang (hématocrite après traitement (%) (1 essai, 50 femmes, différence moyenne (DM) 1,40%, IC à 95% -3,51 à 0,71 ; preuves de faible qualité), le soulagement de la douleur (1 essai, 154 femmes, RR 1,42, IC à 95% 0,82 à 2,46 ; preuve de faible qualité) ou la satisfaction des femmes/l’acceptabilité de la méthode (1 essai, 45 femmes, RR 0,67, IC à 95 % 0,40 à 1,11 ; données de faible qualité).
Autres comparaisons
D'après les résultats d'un seul essai, le misoprostol par voie vaginale s'est révélé plus efficace pour réaliser une fausse couche complète que l’attente sous surveillance (614 femmes, RR 1,25, IC à 95 % 1,09 à 1,45). Il y avait peu de différence entre le misoprostol par voie vaginale et le misoprostol par voie sublinguale (5 essais, 513 femmes, RR moyen 0,84, IC à 95 % 0,61 à 1,16 ; hétérogénéité : Tau² = 0,10, I² = 871 % ; ou entre le misoprostol par voie orale et vaginale en termes de fausse couche complète à moins de 13 semaines (4 essais, 418 femmes), RR moyen 0,68, IC 95 % 0,45 à 1,03 ; hétérogénéité : Tau² = 0,13, I² = 90%). Cependant, il y avait moins de douleur abdominale avec le misoprostol par voie vaginale en comparaison avec le misoprostol par voie sublinguale (3 essais, 392 femmes, RR 0,58, 95 % IC 0,46 à 0,74). Une seule étude (46 femmes) a montré que la mifépristone était plus efficace que le placebo : on aboutit à une fausse couche complète au cinquième jour après le début du traitement (46 femmes, RR 9,50, IC à 95 % 2,49 à 36,19). Cependant, la qualité de ces preuves reste très faible : il existe un risque très sérieux de biais avec des signes de données incomplètes et aucune analyse appropriée de en intention de traiter dans l'étude incluse ; ainsi qu’une imprécision grave avec de larges intervalles de confiance. La mifépristone n'a pas semblé accélérer davantage la fausse couche lorsqu'elle est ajoutée à un régime de misoprostol (3 essais, 447 femmes, RR 1,18, IC à 95 % 0,95 à 1,47).
Post-édition effectuée par Stéphanie Antoun et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr