Problématique de la revue
Nous avons comparé différentes façons de sécuriser les voies respiratoires des patients afin que la ventilation puisse se poursuivre lors de l'ouverture de la trachée programmée. Cette procédure est nécessaire pour les patients adultes hospitalisés en unité de soins intensifs (USI) pour une longue période et ayant besoin d’une ventilation artificielle prolongée. Nous avons comparé l'utilisation d'un masque laryngé à celle d'une sonde endotrachéale en termes d’innocuité et d'efficacité de l'intervention.
Contexte
Les patients adultes en état critique en unité de soins intensifs ont souvent besoin d'une ventilation mécanique pour les aider à respirer. Au départ, les patients sont ventilés à l'aide d'une sonde d’intubation endotrachéale placée dans la trachée. Les patients placés sous ventilation artificielle sur une longue durée peuvent avoir besoin d'une trachéotomie : la sonde respiratoire est placée directement dans la trachée afin d’éviter que la sonde endotrachéale n’endommage la trachée et le larynx. Une ouverture est pratiquée dans le cou et la trachée (trachéostome), puis une canule de trachéotomie y est insérée afin de ventiler le patient. Connue sous le nom de trachéotomie percutanée par dilatation (TPD), cette intervention est l'une des plus fréquemment réalisées sur les patients en USI. Afin d'atteindre la trachée, la peau est perforée à l'aide d'une canule, puis cet accès est élargi (dilatation) et une canule de trachéotomie y est placée.
La TPD entre dans une phase critique lorsque la canule trachéale est insérée et que le dispositif respiratoire précédent, la sonde endotrachéale, est desserrée dans la trachée, puis retirée. Plusieurs complications peuvent survenir à ce stade.
La sonde endotrachéale peut être endommagée et le patient peut manquer d'oxygène ; le contenu de l'estomac peut s’infiltrer dans les poumons et causer une infection pulmonaire sévère ; l'œsophage peut être endommagé et l'air peut se propager dans l'espace entre les poumons et la paroi thoracique ; une inflammation des tissus thoraciques peut survenir.
Un masque laryngé est souvent utilisé pour l'anesthésie générale et peut également l’être pour la TPD. Il est fixé dans la gorge et n'a pas besoin d'être retiré pendant la TPD, bien qu’il ne soit pas aussi hermétique que la sonde endotrachéale.
Caractéristiques des études
Les données probantes sont à jour jusqu'en janvier 2018. Nous avons inclus neuf essais contrôlés randomisés (517 participants). Les essais incluaient entre 40 et 73 participants.
Principaux résultats
Bien que l'utilisation du masque laryngé puisse potentiellement réduire la période durant laquelle les voies respiratoires ne sont pas sécurisées, il est plus probable que la procédure doive être modifiée.
Seule une petite étude de 40 participants a rapporté le nombre de personnes décédées pendant leur séjour à l'hôpital, toutes causes de mortalité confondues, sans qu’il y ait eu de différence entre les groupes de traitement. Aucun décès n'a été provoqué par l'intervention elle-même dans les cinq études (281 participants) ayant rapporté ce critère de jugement. Huit études ont rapporté le nombre de participants ayant subi un ou plusieurs effets indésirables graves, sans montrer de bénéfice clair de l’utilisation du masque laryngé ou de la sonde endotrachéale (467 participants). Ces effets indésirables graves étaient les suivants : un rythme cardiaque irrégulier, de faibles concentrations d'oxygène dans le sang, un déplacement accidentel de la sonde endotrachéale ou du masque laryngé, un endommagement de certaines parties de la sonde endotrachéale, des saignements mineurs et un reflux d’aliments absorbés vers les voies respiratoires. Aucune de ces deux méthodes ne s’est avérée meilleure que l’autre pour ce qui est de la prévention de tout effet indésirable.
La durée de l'intervention a été nettement plus courte (de plus d'une minute) dans le groupe du masque laryngé (6 études, 324 participants). Cet avantage était associé à un risque plus élevé de devoir changer de procédure (8 études, 434 participants). Les complications à plus long terme n'ont pas été suffisamment étudiées.
Qualité des données probantes
N’ayant pas pu obtenir d’information suffisante concernant les méthodes utilisées pour mener ces études, nous avons jugé que la qualité des données probantes était faible ou très faible. Les limitations des études, leur petit nombre de participants et la variation des résultats dans et entre les études (imprécision) ont suscité de sérieuses préoccupations. La plupart des études étaient limitées en termes de critères de jugement pertinents pour les patients. La première étude a été publiée en 2002 et les méthodes se sont améliorées depuis.
Les données probantes sur la tolérance du masque laryngé pour la TPD sont trop limitées pour permettre de tirer des conclusions sur son efficacité ou sa tolérance comparativement à la sonde endotrachéale. Bien que l'utilisation du masque laryngé puisse potentiellement réduire la durée pendant laquelle les voies respiratoires ne sont pas sécurisées, elle pourrait également conduire à des taux de conversion plus élevés. De plus, les complications tardives n'ont pas été suffisamment étudiées. Ces résultats sont principalement fondés sur des essais unicentriques avec des échantillons de petite taille. Par conséquent, le niveau de preuve demeure faible. Des études à faible risque de biais portant sur les complications tardives et les critères de jugement pertinents pour le patient sont nécessaires pour tirer des conclusions définitives sur les questions de tolérance liées à cette intervention. Il faudrait également évaluer plus en détail dans quelle mesure la réussite du placement d’un masque laryngé dépend du type de masque laryngé utilisé.
Deux études en attente de classification pourraient modifier les conclusions une fois évaluées.
La trachéotomie percutanée par dilatation (TPD) est l'une des interventions chirurgicales les plus fréquemment réalisées au chevet de patients adultes en état critique en unité de soins intensifs (USI) nécessitant une assistance respiratoire prolongée. La TPD est associée à des complications importantes et potentiellement mortelles : une rupture du ballonnet ou une extubation accidentelle peuvent entraîner une hypoxie, une aspiration ou une perte de la perméabilité des voies respiratoires. La ponction de l'œsophage ou la création d'un faux passage lors de la dilatation ou lors du remplacement de la sonde endotrachéale peut entraîner un pneumothorax ou un emphysème. Les plaies peuvent s’infecter et causer des médiastinites, en particulier après la création d'un faux passage ou chez les patients ayant subi une trachéotomie précoce post-sternotomie après une chirurgie cardiaque. Pendant l'intervention, les voies respiratoires du patient peuvent être sécurisées par une sonde endotrachéale ou un masque laryngé. Ceci est une version mise à jour de la revue publiée pour la première fois en 2014.
Évaluer la tolérance et l'efficacité du masque laryngé par rapport à la sonde endotrachéale chez les patients adultes en état critique subissant une TPD en USI.
Nous avons effectué des recherches dans les bases de données suivantes jusqu'au 9 janvier 2018 : registre Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL), Medline et Embase. Nous avons cherché des rapports d'essais en cours dans le metaRegister of Controlled Trials (mRCT). Nous avons manuellement recherché des études pertinentes dans les actes de conférences de cinq congrès annuels pertinents. Nous avons contacté des auteurs d'études et des experts au sujet de données non publiées et d'essais en cours. Nous avons recherché d’autres d’études pertinentes dans les listes de référence de tous les essais inclus et des revues systématiques pertinentes.
Nous avons inclus tout essai contrôlé randomisé (ECR) qui comparait l'utilisation de masques laryngés et de sondes endotrachéales chez des patients adultes en état critique subissant une TPD élective en USI, sans blessure ni maladie du visage ou du cou. Nous n'avons imposé aucune restriction quant à la langue, le moment ou la méthode de TPD utilisée.
Deux auteurs de revue ont évalué de façon indépendante l'admissibilité et la qualité méthodologique de chaque étude et ont procédé à l'extraction des données. Nos principaux critères de jugement ont été la mortalité toutes causes confondues, la mortalité liée à l'intervention et le nombre de participants ayant subi un ou plusieurs effets indésirables graves. Lorsque cela était possible, nous avons combiné les études homogènes pour réaliser une méta-analyse. Nous avons utilisé l'outil « Risque de biais » de Cochrane et utilisé GRADE afin d’évaluer la qualité des données probantes pour les principaux critères de jugement.
Dans cette revue, nous avons inclus neuf ECR portant sur 517 participants.
Les études présentaient un risque de biais élevé ou incertain. Cela s’explique principalement par une mauvaise qualité méthodologique ou des données manquantes, même après avoir contacté les auteurs des études. L'effectif des études était généralement petit, avec un minimum de 40 participants et un maximum de 73 participants.
Une étude (40 participants) a rapporté trois décès dans le groupe du masque laryngé et deux décès dans le groupe de la sonde endotrachéale, bien qu'aucun des décès ne soit lié à l'intervention (données probantes de très faible qualité).
Cinq études (281 participants) rapportaient les décès liés à l’intervention et ont indiqué qu’aucun décès lié à l'intervention n’avait eu lieu (données probantes de très faible qualité).
Il n'est pas certain qu'il y ait une différence entre l’utilisation du masque laryngé ou de la sonde endotrachéale quant au nombre de personnes ayant subi un ou plusieurs effets indésirables graves (risque relatif (RR) 0,86, intervalle de confiance (IC) à 95 % 0,41 à 1,80 ; 467 participants, 8 études, données probantes de très faible qualité).
La durée de l'intervention peut être plus courte dans le groupe du masque laryngé (différence moyenne (DM) -1,46 minute, IC à 95 % -1,92 à -1,01 minute ; 6 études, 324 participants, données probantes de faible qualité).
Cependant, le taux d'échec de l’intervention assignée par la randomisation, nécessitant un changement de procédure, pourrait être plus élevé dans le groupe du masque laryngé (RR 2,82, IC à 95 %, 1,22 à 6,52 ; 8 études, 439 participants, données probantes de faible qualité).
Nous n'avons pas trouvé de preuve claire d'une différence entre les deux groupes pour tous les autres critères de jugement. Une seule étude a fourni des données de suivi pour les complications tardives liées à l'intervention et n’a pas montré de preuve claire de bénéfice pour l’un ou l’autre groupe de traitement.
Post-édition : Juliette Poirier - Révision : Agathe Lefèvre (M2 ILTS, Université de Paris)