Principaux messages
1. Nous sommes très incertains quant à l'efficacité des collyres anesthésiants pour contrôler la douleur due aux abrasions de la cornée (égratignures).
2. Nous sommes très incertains de la sécurité des collyres anesthésiants en ce qui concerne la vitesse de guérison et les complications.
3. Pour garantir des données probantes fiables, les chercheurs devraient suivre les directives des meilleures pratiques. Les futures études devraient inclure un plus grand nombre de personnes suivies sur une plus longue période après la fin du traitement.
Qu'est-ce qu'une abrasion cornéenne ?
Une abrasion de la cornée est une éraflure de la couche externe transparente de l'œil. Ces éraflures peuvent être causées par les ongles, la poussière, la saleté, le bois, les brindilles, les épines ou les copeaux de métal projetés ou poussés dans l'œil. Une mauvaise utilisation des lentilles de contact entraîne parfois des éraflures mineures mais douloureuses sur la cornée. Certaines chirurgies oculaires, comme un type de chirurgie réfractive au laser, pourraient nécessiter la création délibérée d'une abrasion. Les symptômes de l'abrasion de la cornée comprennent des douleurs oculaires, une vision floue, une sensation de grisaille, un larmoiement excessif, des rougeurs, une sensibilité à la lumière, ou même mal de tête.
Comment les abrasions cornéennes sont-elles traitées ?
Les soins non médicamenteux des abrasions de la cornée comprennent le rinçage des yeux à l'eau claire ou au sérum physiologique et le clignement fréquent des yeux. Bien que la plupart des égratignures mineures de la cornée puissent guérir d'elles-mêmes, elles sont généralement traitées à l'aide d'un collyre ou d'une pommade antibiotique afin de prévenir les infections. Parfois, les médecins prescrivent des analgésiques topiques pour réduire la douleur oculaire, tels que des anesthésiques (médicaments qui diminuent la sensation de douleur) et des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
Que voulions-nous découvrir ?
Nous avons évalué si les collyres anesthésiants réduisaient la douleur chez les personnes souffrant d'abrasions de la cornée. Nous avons également examiné si les collyres anesthésiants influencent la cicatrisation de la plaie cornéenne ou s'ils provoquent des effets indésirables sur les yeux.
Comment avons-nous procédé ?
Nous avons effectué une revue systématique en recherchant des études comparant les collyres anesthésiants à l'absence de traitement, à des collyres inactifs ou à un autre médicament. Nous avons résumé les conclusions de la revue et rapporté les résultats ainsi que notre confiance dans les données probantes sur la base du plan d'étude et de la méthode.
Qu’avons-nous trouvé ?
Nous avons trouvé neuf études qui avaient recruté 556 personnes âgées de 17 ans ou plus. Quatre études ont été menées dans des établissements hospitaliers de soins d'urgence et cinq dans des établissements de chirurgie ophtalmologique. La plupart des études ont duré une semaine, mais leur durée a varié de deux jours (une étude) à six mois (une autre étude). Seules quatre études ont rapporté les sources de financement, dont aucune n'était une entreprise pharmaceutique.
Par rapport à un traitement inactif, les collyres anesthésiants seuls ont permis de réduire la douleur oculaire jusqu'à 24 heures après le traitement et pourraient également être efficaces lorsqu'ils sont associés à des AINS. Comparé aux AINS, le collyre anesthésique seul a été légèrement moins efficace pour contrôler la douleur. Après 48 heures, les anesthésiques seuls ont diminué la douleur oculaire par rapport aux collyres inactifs, mais ils n'étaient pas plus efficaces après 72 heures. Les collyres anesthésiants ont entraîné un léger retard dans la cicatrisation des plaies jusqu'à 72 heures après le traitement. D'autres complications, telles que les infections, étaient légèrement plus fréquentes avec les anesthésiques, mais ces complications étaient similaires entre les groupes jusqu'à une semaine après le traitement. Les études sont trop peu nombreuses pour savoir si les personnes réagissent différemment au traitement lorsque l'abrasion est due à une blessure ou à une intervention chirurgicale sur l'œil. Aucune étude ne s'est intéressée à la qualité de vie.
Les données probantes pour tous les critères de jugement de cette revue sont très incertaines. D'autres études portant sur un plus grand nombre de participants et les suivant pendant au moins une semaine sont susceptibles de modifier nos conclusions.
Quelles sont les limites des données probantes ?
Nous ne sommes pas convaincus des conclusions suggérées par les données probantes trouvées pour cette revue de l'efficacité et de la sécurité des collyres anesthésiants en raison des lacunes dans la collecte et la communication des données et de la petite taille des études.
Ces données probantes sont-elles à jour ?
Les données probantes sont à jour au 10 février 2023.
Bien que les anesthésiques topiques permettent un excellent contrôle de la douleur en peropératoire, les données probantes actuellement disponibles apportent peu ou pas de certitude quant à leur efficacité pour réduire la douleur oculaire dans les 24 à 72 heures suivant une abrasion de la cornée, qu'elle soit due à un traumatisme involontaire ou à une intervention chirurgicale. Nous avons très peu confiance dans ces données probantes pour recommander les anesthésiques topiques comme une modalité de traitement efficace pour soulager la douleur due aux abrasions cornéennes. Nous n'avons pas non plus trouvé de données probantes d'un effet substantiel sur la cicatrisation épithéliale jusqu'à 72 heures ou d'une réduction des complications oculaires lorsque nous avons comparé les anesthésiques seuls ou avec des AINS par rapport à un placebo.
Malgré les bénéfices analgésiques potentiels des amides et esters ophtalmiques topiques, leur utilisation en ambulatoire est devenue préoccupante en raison du risque d'abus et de complications ophtalmiques.
Évaluer l'efficacité et la tolérance des anesthésiques ophtalmiques topiques par rapport à un placebo ou à d'autres traitements chez les personnes souffrant d'abrasions de la cornée.
Nous avons consulté le registre Cochrane sur des essais contrôlés (CENTRAL) ; MEDLINE ; Embase.com ; Latin American and Caribbean Health Sciences (LILACS) ; ClinicalTrials.gov ; et le Système d'enregistrement international des essais cliniques (ICTRP) de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), sans restriction de langue ou d'année de publication. La recherche a été effectuée le 10 février 2023.
Nous avons inclus les essais contrôlés randomisés (ECR) portant sur les anesthésiques ophtalmiques topiques seuls ou en association avec un autre traitement (par exemple, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)) par rapport à un groupe témoin non anesthésique (par exemple, un placebo, l'absence de traitement ou un traitement alternatif). Nous avons inclus les essais qui ont recruté des participants de tous âges ayant subi une abrasion de la cornée dans les 48 heures suivant leur présentation.
Nous avons utilisé la méthodologie standard de Cochrane.
Nous avons inclus neuf ECR en groupes parallèles avec un total de 556 participants (nombre médian de participants par étude : 45, écart interquartile (EI) 44 à 74), menées dans huit pays : Australie, Canada, France, Corée du Sud, Turquie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et États-Unis.
Caractéristiques des études et risque de biais
Quatre ECR (314 participants) ont étudié les abrasions cornéennes post-traumatiques diagnostiquées dans les services d'urgence. Cinq essais ont décrit 242 participants issus de centres de chirurgie ophtalmologique présentant des défauts cornéens post-chirurgicaux : quatre à la suite d'une kératectomie photoréfractive et un à la suite d'une chirurgie du ptérygion. La durée des études allait de deux jours à six mois, la plus fréquente étant d'une semaine (quatre ECR). La durée du traitement allait de trois heures à une semaine (neuf ECR) ; la majorité se situait entre 24 et 48 heures (cinq ECR). L'âge des participants a été indiqué dans huit études, allant de 17 à 74 ans. Un seul participant à un essai était âgé de moins de 18 ans. Sur les quatre études qui ont rapporté les sources de financement, aucune n'était parrainée par l'industrie. Nous avons estimé que le risque de biais était élevé dans un essai en ce qui concerne le critère de jugement de la douleur à 48 heures, et dans cinq des sept essais en ce qui concerne le résultat des complications au point de mesure le plus éloigné dans le temps. Le domaine pour lequel nous avons estimé que les études présentaient le risque de biais le plus élevé était la présentation manquante ou sélective des critères de jugement.
Résultats
Les traitements étudiés comprenaient des anesthésiques topiques comparés à un placebo, des anesthésiques topiques comparés à un AINS (cas post-chirurgicaux), et des anesthésiques topiques plus AINS comparés à un placebo (cas post-chirurgicaux).
Contrôle de la douleur dans les 24 heures
Dans toutes les études, les résultats de jugement sur la douleur ont été évalués sur une échelle de 10 points, les chiffres les plus bas représentant une douleur moindre. Dans les essais post-chirurgicaux, les anesthésiques topiques ont permis une réduction modérée de la douleur auto déclarée à 24 heures par rapport au placebo, de 1,28 point sur une échelle de 10 points (différence de moyennes (DM) -1,28, intervalle de confiance (IC) à 95 % -1,76 à -0,80 ; 3 ECR, 119 participants). Chez les participants après un traumatisme, il pourrait y avoir peu ou pas de différence en effet (DM -0,04, IC à 95 % -0,10 à 0,02 ; 1 ECR, 76 participants). Comparés aux AINS chez les participants ayant subi une intervention chirurgicale, les anesthésiques topiques ont entraîné une légère augmentation de la douleur à 24 heures (DM 0,82, IC à 95 % 0,01 à 1,63 ; 1 ECR, 74 participants).
Un ECR a comparé les anesthésiques topiques et les AINS à un placebo. Il est possible que les anesthésiques topiques associés à un AINS entraînent une forte réduction de la douleur après 24 heures chez les participants ayant subi une intervention chirurgicale, mais les données probantes à l'appui de cet effet important sont très incertaines (DM -5,72, IC à 95 % -7,35 à -4,09 ; 1 ECR, 30 participants ; données probantes d’un niveau de confiance très faible).
Contrôle de la douleur dans les 48 heures
Comparés au placebo, les anesthésiques topiques réduisent considérablement la douleur post-traumatique dans les 48 heures (DM -5,68, IC à 95 % -6,38 à -4,98 ; 1 ECR, 111 participants) mais ont peu ou pas d'effet sur la douleur post-chirurgicale (DM 0,41, IC à 95 % -0,45 à 1,27 ; 1 ECR, 44 participants), bien que les données probantes soient très incertaines.
Contrôle de la douleur dans les 72 heures
Un ECR post-chirurgical a montré que les anesthésiques topiques avaient peu ou pas d'effet par rapport au placebo à 72 heures (DM 0,49, IC à 95 % -0,06 à 1,04 ; 44 participants ; données probantes d’un niveau de confiance très faible).
Proportion de participants présentant des défauts épithéliaux non résolus
Comparés au placebo ou aux AINS, les anesthésiques topiques ont augmenté le nombre de participants sans résolution complète des défauts dans les essais sur les participants post-traumatiques (risque relatif (RR) 1,37, IC à 95 % 0,78 à 2,42 ; 3 ECR, 221 participants ; données probantes d’un niveau de confiance très faible). La proportion de participants post-chirurgicaux traités par placebo présentant des défauts épithéliaux non résolus après 24 à 72 heures était inférieure à celle des participants ayant reçu des anesthésiques topiques (RR 0,14, IC à 95 % 0,01 à 2,55 ; 1 ECR, 30 participants ; données probantes d’un niveau de confiance très faible) ou des anesthésiques topiques plus AINS (RR 0,33, IC à 95 % 0,04 à 2,85 ; 1 ECR, 30 participants ; données probantes d’un niveau de confiance très faible).
Proportion de participants présentant des complications lors du suivi le plus long
Comparés au placebo ou aux AINS, les anesthésiques topiques ont entraîné une proportion plus élevée de participants post-traumatiques présentant des complications jusqu'à deux semaines (RR 1,13, IC à 95 % 0,23 à 5,46 ; 3 ECR, 242 participants) et de participants post-chirurgicaux présentant des complications jusqu'à une semaine (RR 7,00, IC à 95 % 0,38 à 128,02 ; 1 ECR, 44 participants). Lorsque l'anesthésie topique associée à un AINS a été comparée à un placebo, aucune complication n'a été signalée dans l'un ou l'autre des groupes de traitement jusqu'à une semaine après l'intervention chirurgicale (différence de risques (RD) 0,00, IC à 95 % -0,12 à 0,12 ; 1 ECR, 30 participants). Les données probantes sont très incertaines en ce qui concerne les critères de jugement en matière de sécurité.
Qualité de vie
Aucun des essais inclus n'a évalué les critères de jugement de qualité de vie.
Post-édition effectuée par Elissar El Chami et Cochrane France. Une erreur de traduction ou dans le texte d'origine ? Merci d'adresser vos commentaires à : traduction@cochrane.fr